Jeanne la Fileuse | Page 7

Honoré Beaugrand
gens, l'histoire que je vais vous raconter. La morale de ce r��cit, cependant, ne saurait vous ��tre redite trop souvent, et rappelez-vous que derri��re la l��gende, il y a la le?on terrible d'un Dieu vengeur qui ordonne au riche de faire la charit��.
C'��tait la veille du jour de l'an de grace 1858.
Il faisait un froid sec et mordant.
La grande route qui longe la rive nord du Saint-Laurent de Montr��al �� Berthier ��tait couverte d'une ��paisse couche de neige, tomb��e avant la No?l.
Les chemins ��taient lisses comme une glace de Venise. Aussi, fallait-il voir si les fils des fermiers �� l'aise des paroisses du fleuve, se plaisaient �� ?pousser? leurs chevaux fringants, qui passaient comme le vent au son joyeux des clochettes de leurs harnais argent��s.
Je me trouvais en veill��e chez le p��re Joseph Hervieux que vous connaissez tous. Vous savez aussi que sa maison qui est batie en pierre, est situ��e �� mi-chemin entre les ��glises de Lavaltrie et de Lanoraie. Il y avait f��te ce soir-l�� chez le p��re Hervieux. Apr��s avoir copieusement soup�� tous les membres de la famille s'��taient rassembl��s dans la grande salle de r��ception.
Il est d'usage que chaque famille canadienne donne un festin au dernier jour de chaque ann��e, afin de pouvoir saluer, �� minuit, avec toutes les c��r��monies voulues, l'arriv��e de l'inconnue qui nous apporte �� tous, une part de joies et de douleurs.
Il ��tait dix heures du soir.
Les bambins, pouss��s par le sommeil, se laissaient les uns apr��s les autres rouler sur les robes de buffle qui avaient ��t�� ��tendues autour de l'immense po��le �� fourneau de la cuisine.
Seuls, les parents et les jeunes gens voulaient tenir t��te �� l'heure avanc��e, et se souhaiter mutuellement une bonne et heureuse ann��e, avant de se retirer pour la nuit.
Une fillette vive et alerte qui voyait la conversation languir, se leva tout �� coup et allant d��poser un baiser respectueux sur le front du grand-p��re de la famille, vieillard presque centenaire, lui dit d'une voix qu'elle savait irr��sistible:
--Grand-p��re, redis-nous, je t'en prie, l'histoire de ta rencontre avec l'esprit de ce pauvre Jean-Pierre Beaudry--que Dieu ait piti�� de son ame--que tu nous racontas l'an dernier, �� pareille ��poque. C'est une histoire bien triste, il est vrai, mais ?a nous aidera �� passer le temps en attendant minuit.
--Oh! oui! grand-p��re, l'histoire du jour de l'an, r��p��t��rent en choeur les convives qui ��taient presque tous les descendants du vieillard.
--Mes enfants, reprit d'une voix tremblotante l'a?eul aux cheveux blancs, depuis bien longtemps, je vous r��p��te �� la veille de chaque jour de l'an, cette histoire de ma jeunesse. Je suis bien vieux, et peut-��tre pour la derni��re fois vais-je vous la redire ici ce soir. Soyez tout attention, et remarquez surtout le chatiment terrible que Dieu r��serve �� ceux qui, en ce monde, refusent l'hospitalit�� au voyageur en d��tresse.
Le vieillard approcha son fauteuil du po��le, et ses enfants ayant fait cercle autour de lui, il s'exprima en ces termes:
--Il y a de cela soixante-dix ans aujourd'hui. J'avais vingt ans alors.
Sur l'ordre de mon p��re, j'��tais parti de grand matin pour Montr��al, afin d'aller y acheter divers objets pour la famille; entre autres, une magnifique dame-jeanne de Jama?que, qui nous ��tait absolument n��cessaire pour traiter dignement les amis �� l'occasion du nouvel an. �� trois heures de l'apr��s-midi, j'avais fini mes achats, et je me pr��parais �� reprendre la route de Lanoraie. Mon ?brelot? ��tait assez bien rempli, et comme je voulais ��tre de retour chez nous avant neuf heures, je fouettai vivement mon cheval qui partit au grand trot. �� cinq heures et demie j'��tais �� la traverse du bout de l'?le, et j'avais jusqu'alors fait bonne route. Mais le ciel s'��tait couvert peu �� peu et tout faisait pr��sager une forte bord��e de neige. Je m'engageai sur la traverse, et avant que j'eusse atteint Repentigny il neigeait �� plein temps. J'ai vu de fortes temp��tes de neige durant ma vie, mais je ne m'en rappelle aucune qui f?t aussi terrible que celle-l��. Je ne voyais ni ciel ni terre, et �� peine pouvais-je suivre le ?chemin du roi? devant moi; les ?balises? n'ayant pas encore ��t�� pos��es, comme l'hiver n'��tait pas avanc��. Je passai l'��glise Saint-Sulpice �� la brunante; mais bient?t, une obscurit�� profonde et une ?poudrerie? qui me fouettait la figure, m'emp��ch��rent compl��tement d'avancer. Je n'��tais pas bien certain de la localit�� o�� je me trouvais, mais je croyais alors ��tre dans les environs de la ferme du p��re Robillard. Je ne crus pouvoir faire mieux que d'attacher mon cheval �� un pieu de la cl?ture du chemin, et de me diriger �� l'aventure �� la recherche d'une maison pour y demander l'hospitalit�� en attendant que la temp��te fut apais��e. J'errai pendant quelques minutes et je d��sesp��rais de r��ussir, quand j'aper?us, sur la gauche de la grande route,
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