Jean qui grogne et Jean qui rit | Page 6

Comtesse de Ségur
Je suis bien malheureux! rien ne me r��ussit!?
Tout en r��fl��chissant et en s'affligeant, Jeannot avait ralenti le pas sans y songer. Quand le souvenir de sa position lui revint, il leva les yeux, regarda devant, derri��re, �� droite, �� gauche; il ne vit plus son cousin Jean. La frayeur qu'il ressentit fut si vive que ses jambes trembl��rent sous lui; il fut oblig�� de s'arr��ter, et il n'eut m��me pas la force d'appeler.
Apr��s quelques instants de cette grande ��motion, il retrouva l'usage de ses jambes, et il se mit �� courir pour rattraper Jean. La route ��tait ��troite, bord��e de bois taillis: elle serpentait beaucoup dans le bois; Jean pouvait donc ne pas ��tre tr��s ��loign�� sans que Jeannot p?t l'apercevoir. Dans un des tournants du chemin, il vit confus��ment une petite chapelle, et il allait la d��passer, toujours courant, soufflant et suant, lorsqu'il s'entendit appeler.
Il reconnut la voix de Jean, s'arr��ta joyeux, mais surpris, car il ne le voyait pas.
?Jeannot, r��p��ta la voix de Jean, viens, je suis ici.
[Illustration: Il se mit �� courir pour rattraper Jean.]
JEANNOT.
O�� donc es-tu? Je ne te vois pas.
JEAN.
Dans la chapelle de Notre-Dame consolatrice.
--Tiens, dit Jeannot en entrant, que fais-tu donc l��?
--Je prie,... r��pondit Jean. J'ai pri�� et je me sens consol��. Je sens comme si Notre-Dame envoyait �� maman des consolations et du bonheur.... Je vois des traces de larmes dans tes yeux, pauvre Jeannot; viens prier, tu seras consol�� et fortifi�� comme moi.
JEANNOT.
Pour qui veux-tu que je prie? je n'ai pas de m��re.
JEAN.
Prie pour ta tante, qui t'a gard�� trois ans.
JEANNOT.
Bah! ma tante! ce n'est pas la peine.
JEAN.
Ce n'est pas bien ce que tu dis l��, Jeannot. Prie alors pour toi-m��me, si tu ne veux pas prier pour les autres.
JEANNOT.
Pour moi? c'est bien inutile. Je suis malheureux, et, quoi que je fasse, je serai toujours malheureux. D'ailleurs tout m'est ��gal.
JEAN.
Tu n'es malheureux que parce que tu veux l'��tre. Except�� que j'ai maman et que tu as ma tante, nous sommes absolument de m��me pour tout. Je me trouve heureux, et toi tu te plains de tout.
JEANNOT.
Nous ne sommes pas de m��me; ainsi tu as je ne sais combien d'argent, et moi je n'ai que deux francs.
JEAN.
Si ton malheur ne tient qu'�� ?a, je vais bien vite te le faire passer, car je vais partager avec toi.
JEANNOT, un peu honteux.
Non, non, je ne dis pas cela; ce n'est pas ce que je te demande ni ce que je voulais.
JEAN.
Mais, moi, c'est ce que je demande et c'est ce que je veux. Nous faisons route ensemble; nous arriverons ensemble et nous resterons ensemble: il est juste que nous profitions ensemble de la bont�� de nos amis.?
Et, sans plus attendre, Jean tira de sa poche la vieille bourse en cuir toute rapi��c��e qu'y avait mise sa m��re, s'assit �� la porte de la chapelle, fit asseoir Jeannot pr��s de lui, vida la bourse dans sa main et commen?a le partage.
?Un franc pour toi, un franc pour moi.?
Il continua ainsi jusqu'�� ce qu'il e?t vers�� dans les mains de Jeannot la moiti�� de son tr��sor, qui montait �� huit francs vingt-cinq centimes pour chacun d'eux.
Jeannot remercia son cousin avec un peu de confusion; il prit l'argent, le mit dans sa poche.
?J'ai deux francs de plus que toi, dit-il.
JEAN.
Comment cela? J'ai partag�� bien exactement.
JEANNOT.
Parce que j'avais deux francs que m'a donn��s le cur��.
JEAN.
Ah! c'est vrai! Te voil�� donc plus riche que moi. Tu vois bien que tu n'es pas si malheureux que tu le disais.
JEANNOT.
Je n'en sais rien. J'ai du guignon. Un voleur viendra peut-��tre m'enlever tout ce que j'ai.
--Tu ne croyais pas ��tre si bon proph��te?, dit une grosse voix derri��re les enfants.
Les enfants se retourn��rent et virent un homme jeune, de grande taille, aux robustes ��paules, �� la barbe et aux favoris noirs et touffus; il les examinait attentivement.
Jean sauta sur ses pieds et se trouva en face de l'��tranger.
JEAN.
Je ne crois pas, monsieur, que vous ayez le coeur de d��pouiller deux pauvres gar?ons oblig��s de quitter leur m��re et leur pays pour aller chercher du pain �� Paris, parce que leurs parents n'en ont plus �� leur donner.?
L'��tranger ne r��pondit pas; il continuait �� examiner les enfants.
JEAN.
Au reste, monsieur, voici tout ce que j'ai: huit francs vingt-cinq centimes que nos amis m'ont donn��s pour mon voyage.?
L'��tranger prit l'argent de la main de Jean.
L'��TRANGER.
Et avec quoi vivras-tu jusqu'�� ton arriv��e �� Paris?
JEAN.
Le bon Dieu me donnera de quoi, monsieur, comme il a toujours fait.
--Et toi, dit l'��tranger en se tournant vers Jeannot, qu'as-tu �� me donner?
JEANNOT, tombant �� genoux et pleurant.
Je n'ai rien que ce qu'il me faut tout juste pour ne pas mourir de faim, monsieur. Grace pour mon pauvre argent! Grace, au nom de Dieu!
L'��TRANGER.
Pas de grace pour l'ingrat, le lache, l'avide, le jaloux. J'ai tout entendu. Donne vite.?
L'��tranger mit sa main dans
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 80
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.