la poche de Jeannot, et enleva les dix francs vingt-cinq centimes qui s'y trouvaient. Jeannot se jeta à terre et pleura.
?Monsieur, dit Jean, touché des larmes de son cousin et un peu ému lui-même de la perte de sa fortune, ayez pitié de lui; rendez-lui son argent.
L'éTRANGER.
Pourquoi le rendrais-je à lui et pas à toi?
JEAN.
Parce que moi j'ai du courage, monsieur; et lui est faible. C'est le bon Dieu qui nous a faits comme ?a; ce n'est pas par orgueil que je le dis.
L'éTRANGER.
Tu es un bon et brave petit gar?on, et nous en reparlerons tout à l'heure. Où allez-vous?
JEAN.
A Paris, monsieur.
L'éTRANGER.
C'est donc bien décidé? Et comment y arriverez-vous sans argent?
--Oh! monsieur, je n'en suis pas inquiet. De même que nous avons eu le malheur de vous rencontrer, de même nous pouvons rencontrer une bonne ame charitable qui nous viendra en aide.?
L'étranger sourit et ne put s'empêcher de donner une petite tape amicale sur la joue fra?che de Jean.
L'éTRANGER.
Ton camarade n'en dit pas autant, ce me semble.
JEAN.
C'est qu'il est terrifié, monsieur. Il a toujours peur, ce pauvre Jeannot.
L'éTRANGER, avec ironie.
Ah! il s'appelle Jeannot! Beau nom! Bien porté! Et toi, quel est ton nom?
JEAN.
C'est Jean, monsieur.
L'éTRANGER.
Vrai beau nom, celui-là? Et tu me fais l'effet de devoir faire honneur à tes saints patrons. Allons, Jean et Jeannot, marchons; je vais vous escorter, de peur d'accident. Tiens, mon brave petit Jean, voici tes huit francs vingt-cinq centimes, auxquels j'ajoute vingt francs pour payer ton voyage. Et toi, pleurard, poltron, voici tes dix francs vingt-cinq centimes, auxquels j'ajoute la défense de rien recevoir de Jean. Si j'apprends que tu as encore accepté un partage, tu auras affaire à moi. Suivez-moi tous deux; je veux vous faire déjeuner à Auray, dont nous ne sommes pas éloignés.
JEAN, les yeux brillants de joie et de reconnaissance.
Vous avez bien de la bonté, monsieur; je suis bien reconnaissant; je ne sais comment vous remercier, monsieur.
L'éTRANGER.
En mangeant de bon appétit le déjeuner que je vais te donner, mon petit Jean.
JEAN.
Tiens! vous dites comme maman: petit Jean.?
Et les yeux de petit Jean se mouillèrent de larmes.
III
LE VOLEUR SE DéVOILE
Les enfants suivirent l'étranger, Jean remerciant le bon Dieu et la sainte Vierge de la rencontre d'un si bon, si riche et si généreux voleur, et Jeannot déplorant son guignon et enviant le bonheur de Jean.
Pendant le trajet d'une lieue qui séparait la chapelle de la ville, l'étranger chercha à faire causer les enfants, Jean surtout lui plaisait singulièrement. Jeannot, mécontent de n'avoir pas eu, comme son cousin, une gratification du voleur, répondait à peine et se plaignait de la fatigue, de la chaleur, de la longueur de la route.
L'éTRANGER.
Je ne t'oblige pas à me suivre, pleurnicheur; reste en arrière si tu veux.
JEANNOT.
Que je reste en arrière pour que les loups me mangent.
L'éTRANGER.
Les loups! au mois de juin, en plein soleil!
JEANNOT.
Il n'y a pas de soleil qui tienne! Les loups n'ont pas peur du soleil. On en a vu deux à Kermadio il n'y a pas déjà si longtemps.
L'éTRANGER.
Tu as pris des chiens pour des loups!
JEANNOT.
C'est pas moi seul qui les ai vus! C'est bien d'autres! Un loup énorme, noir, à tête grise, qui n'est pas farouche, et qui a regardé déjeuner le garde, M. Daniel, à vingt pas de sa maison; et puis une grosse louve grise qui vous regarde en face, qui vous barre le passage, et qui vous a la mine d'une bête affamée, toute prête à vous dévorer.
L'éTRANGER.
C'est la peur qui t'a fait voir tout cela. Toi, Jean, as-tu vu ces terribles bêtes?
JEAN.
Pas moi, monsieur, mais Jeannot dit vrai; bien des personnes les ont vues. Un cousin de M. le maire, qui chassait, a vu le loup et a couru après. L'institutrice de Mademoiselle a vu la louve, qui l'a suivie longtemps. Et puis Daniel, le garde de Monsieur, a rencontré le loup, qui a eu peur et qui a traversé à la nage le bras de mer de Kermadio.?
Après quelques instants de silence et de triomphe pour Jeannot, l'étranger se mit à questionner Jean sur sa mère. L'intérêt qu'il semblait prendre à la conversation enhardit Jean; il lui dit avec quelque hésitation:
?Monsieur, voudriez-vous me rendre service, mais un bien grand service?
L'éTRANGER.
Très volontiers, si c'est possible, mon ami. Mais comment me le demandes-tu, à moi que tu connais à peine?
[Illustration: ?Un cousin de M. le maire, qui chassait, a vu le loup.?]
JEAN.
Parce que vous avez l'air très bon, monsieur; et parce que je vois que vous me portez intérêt et que vous serez bien aise d'obliger encore un pauvre gar?on que vous avez déjà obligé.
L'éTRANGER, souriant.
Très bien, mon ami; je crois que tu as deviné assez juste. Quel service me demandes-tu?
JEAN.
Voilà, monsieur; c'est de reprendre les vingt francs que vous m'avez donnés, et de les porter à maman; vous lui direz que c'est son petit Jean qui les lui
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