Je suis bien malheureux! rien ne me réussit!?
Tout en réfléchissant et en s'affligeant, Jeannot avait ralenti le pas sans y songer. Quand le souvenir de sa position lui revint, il leva les yeux, regarda devant, derrière, à droite, à gauche; il ne vit plus son cousin Jean. La frayeur qu'il ressentit fut si vive que ses jambes tremblèrent sous lui; il fut obligé de s'arrêter, et il n'eut même pas la force d'appeler.
Après quelques instants de cette grande émotion, il retrouva l'usage de ses jambes, et il se mit à courir pour rattraper Jean. La route était étroite, bordée de bois taillis: elle serpentait beaucoup dans le bois; Jean pouvait donc ne pas être très éloigné sans que Jeannot p?t l'apercevoir. Dans un des tournants du chemin, il vit confusément une petite chapelle, et il allait la dépasser, toujours courant, soufflant et suant, lorsqu'il s'entendit appeler.
Il reconnut la voix de Jean, s'arrêta joyeux, mais surpris, car il ne le voyait pas.
?Jeannot, répéta la voix de Jean, viens, je suis ici.
[Illustration: Il se mit à courir pour rattraper Jean.]
JEANNOT.
Où donc es-tu? Je ne te vois pas.
JEAN.
Dans la chapelle de Notre-Dame consolatrice.
--Tiens, dit Jeannot en entrant, que fais-tu donc là?
--Je prie,... répondit Jean. J'ai prié et je me sens consolé. Je sens comme si Notre-Dame envoyait à maman des consolations et du bonheur.... Je vois des traces de larmes dans tes yeux, pauvre Jeannot; viens prier, tu seras consolé et fortifié comme moi.
JEANNOT.
Pour qui veux-tu que je prie? je n'ai pas de mère.
JEAN.
Prie pour ta tante, qui t'a gardé trois ans.
JEANNOT.
Bah! ma tante! ce n'est pas la peine.
JEAN.
Ce n'est pas bien ce que tu dis là, Jeannot. Prie alors pour toi-même, si tu ne veux pas prier pour les autres.
JEANNOT.
Pour moi? c'est bien inutile. Je suis malheureux, et, quoi que je fasse, je serai toujours malheureux. D'ailleurs tout m'est égal.
JEAN.
Tu n'es malheureux que parce que tu veux l'être. Excepté que j'ai maman et que tu as ma tante, nous sommes absolument de même pour tout. Je me trouve heureux, et toi tu te plains de tout.
JEANNOT.
Nous ne sommes pas de même; ainsi tu as je ne sais combien d'argent, et moi je n'ai que deux francs.
JEAN.
Si ton malheur ne tient qu'à ?a, je vais bien vite te le faire passer, car je vais partager avec toi.
JEANNOT, un peu honteux.
Non, non, je ne dis pas cela; ce n'est pas ce que je te demande ni ce que je voulais.
JEAN.
Mais, moi, c'est ce que je demande et c'est ce que je veux. Nous faisons route ensemble; nous arriverons ensemble et nous resterons ensemble: il est juste que nous profitions ensemble de la bonté de nos amis.?
Et, sans plus attendre, Jean tira de sa poche la vieille bourse en cuir toute rapiécée qu'y avait mise sa mère, s'assit à la porte de la chapelle, fit asseoir Jeannot près de lui, vida la bourse dans sa main et commen?a le partage.
?Un franc pour toi, un franc pour moi.?
Il continua ainsi jusqu'à ce qu'il e?t versé dans les mains de Jeannot la moitié de son trésor, qui montait à huit francs vingt-cinq centimes pour chacun d'eux.
Jeannot remercia son cousin avec un peu de confusion; il prit l'argent, le mit dans sa poche.
?J'ai deux francs de plus que toi, dit-il.
JEAN.
Comment cela? J'ai partagé bien exactement.
JEANNOT.
Parce que j'avais deux francs que m'a donnés le curé.
JEAN.
Ah! c'est vrai! Te voilà donc plus riche que moi. Tu vois bien que tu n'es pas si malheureux que tu le disais.
JEANNOT.
Je n'en sais rien. J'ai du guignon. Un voleur viendra peut-être m'enlever tout ce que j'ai.
--Tu ne croyais pas être si bon prophète?, dit une grosse voix derrière les enfants.
Les enfants se retournèrent et virent un homme jeune, de grande taille, aux robustes épaules, à la barbe et aux favoris noirs et touffus; il les examinait attentivement.
Jean sauta sur ses pieds et se trouva en face de l'étranger.
JEAN.
Je ne crois pas, monsieur, que vous ayez le coeur de dépouiller deux pauvres gar?ons obligés de quitter leur mère et leur pays pour aller chercher du pain à Paris, parce que leurs parents n'en ont plus à leur donner.?
L'étranger ne répondit pas; il continuait à examiner les enfants.
JEAN.
Au reste, monsieur, voici tout ce que j'ai: huit francs vingt-cinq centimes que nos amis m'ont donnés pour mon voyage.?
L'étranger prit l'argent de la main de Jean.
L'éTRANGER.
Et avec quoi vivras-tu jusqu'à ton arrivée à Paris?
JEAN.
Le bon Dieu me donnera de quoi, monsieur, comme il a toujours fait.
--Et toi, dit l'étranger en se tournant vers Jeannot, qu'as-tu à me donner?
JEANNOT, tombant à genoux et pleurant.
Je n'ai rien que ce qu'il me faut tout juste pour ne pas mourir de faim, monsieur. Grace pour mon pauvre argent! Grace, au nom de Dieu!
L'éTRANGER.
Pas de grace pour l'ingrat, le lache, l'avide, le jaloux. J'ai tout entendu. Donne vite.?
L'étranger mit sa main dans
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