longtemps! Mon bon Dieu, donnez-moi du courage jusqu'à la fin! Ma bonne sainte Vierge, je me mets sous votre protection. Vous veillerez sur moi et vous me ferez revenir près de maman!?
Jean essuya ses yeux, chercha à se distraire par la pensée de son frère qu'il aimait tendrement, et arriva assez gaiement à la demeure de sa tante Marine. Au moment d'entrer, il s'arrêta effrayé et surpris. Il entendait des cris étouffés, des gémissements, des sanglots. Il poussa vivement la porte; sa tante était seule et paraissait mécontente, mais ce n'était certainement pas elle qui avait poussé les cris et les gémissements qu'il venait d'entendre.
?Te voilà, petit Jean? dit-elle; que veux-tu?
JEAN.
Maman m'a envoyé savoir si Jeannot était prêt pour demain, ma tante, et s'il allait venir à la maison ce soir ou demain de grand matin pour partir ensemble.
LA TANTE.
Je ne peux pas venir à bout de ce gar?on-là; il est là qui hurle depuis une heure; il ne veut pas m'obéir; je lui ai dit plus de dix fois d'aller te rejoindre chez ta mère. Il ne bouge pas plus qu'une pierre. L'entends-tu gémir et pleurer?
JEAN.
Où est-il donc, ma tante?
LA TANTE.
Il est dehors, derrière la maison. Va le trouver, mon petit Jean, et vois si tu peux l'emmener.?
Jean sortit, fit le tour le la maison, ne vit personne, n'entendit plus rien. Il appela:
?Jeannot!?
Mais Jeannot ne répondit pas.
Il rentra une seconde fois chez sa tante.
LA TANTE.
Eh bien, l'as-tu décide à te suivre? Il est calmé, car je n'entends plus rien.
JEAN.
Je ne l'ai pas vu, ma tante; j'ai regardé de tous c?tés, mais je ne l'ai pas trouvé.
LA TANTE.
Tiens! où s'est-il donc caché??
La tante sortit elle-même, fit le tour de la maison, appela et, comme Jean, ne trouva personne.
?Se serait-il sauvé, par hasard, pour ne pas t'accompagner demain??
Jean frémit un instant à la pensée de devoir faire seul un si long voyage et d'entrer seul dans Paris la grande ville, si grande, avait écrit son frère, qu'il ne pouvait pas en faire le tour dans une seule journée. Mais il se rassura bien vite et résolut de le trouver, quand il devrait chercher toute la nuit.
Lui et sa tante continuèrent leurs recherches sans plus de succès.
?Mauvais gar?on! murmurait-elle. Détestable enfant!... Si tu pars sans lui, mon petit Jean, et qu'il me revienne après ton départ, je ne le garderai pas, il peut en être s?r.
JEAN.
Où le mettriez-vous donc, ma tante?
LA TANTE.
Je le donnerais à ta mère.
JEAN.
Oh! ma tante! Ma pauvre maman qui ne peut pas me garder, moi, son enfant!
LA TANTE.
Eh bien, n'est-elle pas comme moi la tante de ce Jeannot, la soeur de sa mère? Chacun son tour; voilà bient?t trois ans que je l'ai; il m'a assez ennuyée. Au tour de ta mère, elle s'en fera obéir mieux que moi.?
Pendant que la tante parlait, Jean, qui furetait partout, eut l'idée de regarder dans une vieille niche à chien, et il vit Jeannot blotti tout au fond.
?Le voilà, le voilà! s'écria Jean. Voyons, Jeannot, viens, puisque te voilà trouvé.?
Jeannot ne bougeait pas.
?Attends, je vais l'aider à sortir de sa cachette?, dit la tante enchantée de la découverte de Jean.
Se baissant, elle saisit les jambes de Jeannot et tira jusqu'à ce qu'elle l'e?t ramené au grand jour.
A peine Jeannot fut-il dehors, qu'il recommen?a ses cris et ses gémissements.
JEAN.
Voyons, Jeannot, sois raisonnable! Je pars comme toi; est-ce que je crie, est-ce que je pleure comme toi! Puisqu'il faut partir, à quoi ?a sert de pleurer? Que fais-tu de bon ici? rien du tout. Et à Paris, nous allons retrouver Simon, et il nous aura du pain et du fricot. Et il nous trouvera de l'ouvrage pour que nous ne soyons pas des fainéants, des propres à rien. Et ici, qu'est-ce que nous faisons? Nous mangeons la moitié du pain de maman et de ma tante. Tu vois bien! Sois gentil: dis adieu à ma tante, et viens avec moi. Le voisin Grégoire a donné à maman une bonne galette et un pot de cidre pour nous faire un bon souper, et puis Daniel nous a donné un lapin qu'il venait de tuer.?
Le visage de Jeannot s'anima, ses larmes se tarirent et il s'approcha de son cousin en disant:
?Je veux bien venir avec toi, moi.?
La tante profita de cette bonne disposition pour lui donner son petit paquet accroché au bout du baton de voyage.
?Va, mon gar?on, dit-elle en l'embrassant, que Dieu te conduise et te ramène les poches bien remplies de pièces blanches; tiens, en voilà deux de vingt sous chacune; c'est M. le curé qui me les a données pour toi; c'est pour faire le voyage. Adieu, Jeannot; adieu, petit Jean.
JEAN.
Nous serons bien heureux, va! D'abord, nous ferons comme nous voudrons; personne pour nous contrarier.
JEANNOT.
Ma tante Hélène ne te contrarie pas trop, toi; mais ma tante Marine! Est-elle contredisante! et exigeante! et
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