méchante! Je suis bien content de ne plus l'entendre gronder et crier après moi.
JEAN.
écoute, Jeannot, tu n'as pas raison de dire que ma tante Marine est méchante! Elle crie après toi un peu trop et trop fort, c'est vrai; mais aussi tu la contrariais bien, et puis, tu ne lui obéissais pas.
JEANNOT.
Je crois bien, elle voulait m'envoyer faire des commissions au tomber du jour: j'avais peur!
JEAN.
Peur! d'aller à cent pas chercher du pain, ou bien d'aller au bout du jardin chercher du bois!
JEANNOT.
écoute donc! Moi, je n'aime pas à sortir seul à la nuit. C'est plus fort que moi: j'ai peur!
JEAN.
Et pourquoi pleurais-tu tout à l'heure, puisque tu es content de t'en aller? Et pourquoi t'étais-tu si bien caché, que c'est pas un pur hasard si je t'ai trouvé?
JEANNOT.
Parce que j'ai peur de ce que je ne connais pas, moi; j'ai peur de ce grand Paris.
JEAN.
Ah bien! si tu as peur de tout, il n'y a plus de plaisir? Puisque tu dis toi-même que tu étais mal chez ma tante, et que tu es content de t'en aller?
JEANNOT.
C'est égal, j'aime mieux être mal au pays et savoir comment et pourquoi je suis mal, que de courir les grandes routes et ne pas savoir où je vais, et avec qui et comment je dois souffrir.
JEAN.
Que tu es nigaud, va! Pourquoi penses-tu avoir à souffrir?
JEANNOT.
Parce que, quoi qu'on fasse, où qu'on aille, avec qui qu'on vive, on souffre toujours! Je le sais bien, moi.
JEAN, riant.
Alors tu es plus savant que moi; j'ai du bon dans ma vie, moi; je suis plus souvent heureux que malheureux, content que mécontent, et je me sens du courage pour la route et pour Paris.
JEANNOT.
Je crois bien! tu as une mère, toi! Je n'ai qu'une tante!
JEAN.
Raison de plus pour que ce soit moi qui pleure en quittant maman et que ce soit toi qui ries, puisque ta tante ne te tient pas au coeur; mais tu grognes et pleures toujours, toi. Entre les deux, j'aime mieux rire que pleurer.?
Jeannot ne répondit que par un soupir et une larme, Jean ne dit plus rien. Ils marchèrent en silence et ils arrivèrent à la porte d'Hélène; en l'ouvrant, Jeannot se sentit surmonté par une forte odeur de lapin et de galette.
HéLèNE.
Te voilà enfin de retour, mon petit Jean! Je m'inquiétais de ne pas te voir revenir. Et voici Jeannot que tu me ramènes. Eh bien! eh bien! quelle figure consternée, mon pauvre Jeannot! Qu'est-ce que tu as? Dis-le-moi.... Voyons, parle; n'aie pas peur.?
Jeannot baisse la tête et pleure.
JEAN.
Il n'a rien du tout, maman, que du chagrin de partir. Et pourtant il disait lui-même tout à l'heure que ?a ne le chagrinait pas de quitter ma tante! Alors, pourquoi qu'il pleure?
HéLèNE.
Certainement; pourquoi pleures-tu? Et devant un lapin qui cuit et une galette qui chauffe? C'est-il raisonnable, Jeannot? Voyons, plus de ?a, et venez tous deux m'aider à préparer le souper; et un fameux souper!
JEANNOT, soupirant
Et le dernier que je ferai ici, ma tante!
HéLèNE.
Le dernier! Laisse donc! Vous reviendrez tous deux avec des galettes et des lapins plein vos poches; et tu en mangeras chez moi avec mon petit Jean. Il est courageux, lui. Regarde sa bonne figure réjouie.... Tiens! tu as les yeux rouges, petit Jean. Qu'est-ce que tu as donc? Une bête entrée dans l'oeil??
Jean regarda sa mère; ses yeux étaient remplis de larmes; il voulut sourire et parler, mais le sourire était une grimace, et la voix ne pouvait sortir du gosier. La mère se pencha vers lui, l'embrassa, se détourna et sortit pour aller chercher du bois, dit-elle. Quand elle rentra, sa bouche souriait, mais ses yeux avaient pleuré; ils s'arrêtèrent un instant seulement, avec douleur et inquiétude, sur le visage de son enfant.
Le petit Jean l'examinait aussi avec tristesse; leur regard se rencontra; tous deux comprirent la peine qu'ils ressentaient, l'effort qu'ils faisaient pour la dissimuler, et la nécessité de se donner mutuellement du courage.
?Le bon Dieu est bon, maman; il nous protégera! dit Jean avec émotion. Et quel bonheur que vous m'ayez appris à écrire! Je vous écrirai toutes les fois que j'aurai de quoi affranchir une lettre!
HéLèNE.
Et moi, mon petit Jean, M. le curé m'a promis un timbre-poste tous les mois.... En attendant, voici notre lapin cuit à point, qui ne demande qu'à être mangé.?
Les enfants ne se le firent pas répéter; ils s'assirent sur des escabeaux; chacun prit un débris de plat ou de terrine, ouvrit son couteau et attendit, en passant sa langue sur ses lèvres, qu'Hélène e?t coupé le lapin et e?t donné à chacun sa part.
Pendant un quart d'heure on n'entendit d'autre bruit dans la salle du festin que celui des machoires qui broyaient leur nourriture, des couteaux qui glissaient sur les débris d'assiette, du cidre qui passait du broc dans le verre unique servant à tour de r?le à
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