Jean qui grogne et Jean qui rit

Comtesse de Ségur

Jean qui grogne et Jean qui rit

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Title: Jean qui grogne et Jean qui rit
Author: Comtesse de Ségur
Illustrator: H. Castelli
Release Date: March 31, 2006 [EBook #18090]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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[Illustration]
JEAN QUI GROGNE ET JEAN QUI RIT
PAR
Mme LA COMTESSE DE SéGUR NéE ROSTOPCHINE
OUVRAGE ILLUSTRé DE 57 VIGNETTES PAR H. CASTELLI

PARIS LIBRAIRIE HACHETTE 79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
1920

A MA PETITE-FILLE MARIE-THERèSE DE SéGUR
_Chère petite, tu as longtemps attendu ton livre; c'est qu'il y avait bien des frères, des cousins, des cousines, d'un age plus respectable que le tien. Mais enfin, voici ton tour. JEAN QUI RIT te fera rire, je l'espère; je ne crains pas que JEAN QUI GROGNE te fasse grogner.
Ta grand'mère qui t'aime bien,_
COMTESSE DE SéGUR, née ROSTOPCHINE

I
LE DéPART
HéLèNE.
Voilà ton paquet presque fini, mon petit Jean, il ne reste plus à y mettre que tes livres.
JEAN.
Et ce ne sera pas lourd, maman; les voici.?
La mère prend les livres que lui présente Jean et lit: _Manuel du Chrétien; Conseils pratiques aux Enfants_.
HéLèNE.
Il n'y en a guère, il est vrai, mon ami; mais ils sont bons.
JEAN.
Maman, quand je serai à Paris, je tacherai de voir le bon prêtre qui a fait ces livres.
HéLèNE.
Et tu feras bien, mon ami; il doit être bon, cela se voit dans ses livres. Et il aime les enfants, cela se voit bien aussi.
JEAN.
Une fois arrivé à Paris et chez Simon, je n'aurai plus peur.
HéLèNE.
Il ne faut pas avoir peur non plus sur la route, mon ami. Qu'est-ce qui te ferait du mal? Et pourquoi te causerait-on du chagrin?
JEAN.
C'est qu'il y a des gens qui ne sont pas bons, maman; et il y en a d'autres qui sont même mauvais.
HéLèNE.
Je ne dis pas non; mais tu ne seras pas le premier du pays qui auras été chercher ton pain et la fortune à Paris; il ne leur est pas arrivé malheur; pas vrai? Le bon Dieu et la sainte Vierge ne sont-ils pas là pour te protéger?
JEAN.
Aussi je ne dis pas que j'aie peur, allez; je dis seulement qu'il y a des gens qui ne sont pas bons; c'est-il pas une vérité, ?a?
HéLèNE.
Oui, oui, tout le monde la conna?t, cette vérité. Mais tu ne veux pas pleurer en partant, tout de même! Je ne veux pas que tu pleures.
JEAN.
Soyez tranquille, mère; je m'en irai bravement comme mon frère Simon, qui est parti sans seulement tourner la tête pour nous regarder. Voilà que j'ai bient?t quatorze ans. Je sais bien ce que c'est que le courage, allez. Je ferai comme Simon.
HéLèNE.
C'est bien, mon enfant; tu es un bon et brave gar?on! Et le cousin Jeannot? Va-t-il venir ce soir ou demain matin?
JEAN.
Je ne sais pas, maman; je ne l'ai guère vu ces trois derniers jours.
HéLèNE.
Va donc voir chez sa tante s'il est prêt pour partir demain de grand matin.?
Jean partit lestement. Hélène resta à la porte et le regarda marcher: quand elle ne le vit plus, elle rentra, joignit les mains avec un geste de désespoir, tomba à genoux et s'écria d'une voix entrecoupée par ses larmes:
?Mon enfant, mon petit Jean chéri? Lui aussi doit partir, me quitter! Lui aussi va courir mille dangers dans ce long voyage! mon enfant, mon cher enfant!... Et je dois lui cacher mon chagrin et mes larmes pour ranimer son courage. Je dois para?tre insensible à son absence, quand mon coeur frémit d'inquiétude et de douleur! Pauvre, pauvre enfant! La misère m'oblige à l'envoyer à son frère. Dieu de bonté, protégez-le! Marie, mère de miséricorde, ne l'abandonnez pas, veillez sur lui!?
La pauvre femme pleura quelque temps encore; puis elle se releva, lava ses yeux rougis par les larmes, et s'effor?a de para?tre calme et tranquille pour le retour de Jean.
Jean avait marché lestement jusqu'au détour du chemin et tant que sa mère pouvait l'apercevoir. Mais quand il se sentit hors de vue, il s'arrêta, jeta un regard douloureux sur la route qu'il venait de parcourir, sur tous les objets environnants, et il pensa que, le lendemain de grand matin, il passerait par les mêmes endroits, mais pour ne plus les revoir; et lui aussi pleura.
?Pauvre mère! se dit-il. Elle croit que je la quitte sans regret; elle n'a ni inquiétude ni chagrin. Ma tranquillité la rassure et soutient son courage. Ce serait mal et cruel à moi de lui laisser voir combien je suis malheureux de la quitter! et pour si
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