femmes s'en mêlent! cria-t-il. Eh bien, attends un peu!
Il abattit son fusil dans la direction de Marianne.
M. de Kardigân voulut arracher au danger son bien-aimé fardeau.
Mais il était trop tard.
Marianne eut un tressaillement intérieur qui tendit son corps dans un
spasme suprême... puis ses bras retombèrent inertes.
--Père... père! balbutia-t-elle encore.
Elle était morte.
M. de Kardigân se jeta dans l'hôtel, et, là, déposa la pauvre enfant sur
un de ces lits improvisés par sa généreuse charité.
Puis lui-même, accablé par ce nouveau coup, perdit connaissance et
s'évanouit.
* * * * *
La seconde journée s'acheva comme la première. Quel chemin de croix
pour cet homme, qui venait à Paris pour embrasser ses enfants, et qui
sur son chemin ne rencontrait que des tombes!
Quand il revint à lui, la nuit--la seconde!--couvrait la ville.
Le sentiment de la réalité, se réveillant en lui avec la douleur, lui
rappela ces deux deuils qui l'écrasaient.
On avait transporté Marianne dans la chambre de sa tante. Elle reposait
sur le lit, revêtue encore de son uniforme de soeur de charité.
M. de Kardigân, vieilli de cent ans, courbé en deux par l'angoisse et le
désespoir, tenait sa tête cachée dans les draps du lit.
La balle avait traversé le coeur. La jeune fille semblait dormir: son
visage, laissé calme par ce grand repos de la mort, souriait encore.
Le père regardait; ses yeux étaient secs. Il avait tant pleuré qu'il n'avait
plus de larmes!
--Elle aimait les fleurs... dit-il.
Alors il alla péniblement, se traînant plutôt que marchant, vers une
serre naturelle où croissaient, sous le chaud soleil de juillet, des plantes
embaumées.
Il fit une abondante moisson, qu'il jeta sur le lit, donnant à la pauvre
morte aimée un linceul de clématites, de camélias et de roses.
Puis il reprit sa prière.
Quand madame de Riom, presque folle, eut recouvré un peu de raison,
elle supplia son cousin de quitter cette chambre.
--Ne soyez pas injuste, dit-elle; ceux qui ne sont plus doivent être aimés
d'un amour égal. Louis attend!
M. de Kardigân se rappela qu'un autre cadavre l'attendait, en effet.
Il voulut s'éloigner; mais comme un aimant invincible l'attachait à ce lit;
il se précipita sur le corps de Marianne, couvrant de larmes et de
caresses ce front glacé.
--Ah! mon Dieu, s'écria-t-il, qu'avait fait cette enfant pour que tu me la
prisses!
IV
LA TROISIÈME JOURNÉE
M. de Kardigân eut une idée pieuse pendant qu'il quittait sa fille morte
pour aller retrouver son fils mort.
Il voulut réunir dans la même tombe ces deux êtres, dont l'aîné n'avait
pas vingt-six ans, comme ils avaient été réunis dans la vie.
Aubin Ploguen était resté à la même place.
--Lève-toi, mon gars, dit le marquis d'une voix sourde. Prends mon fils
dans tes bras, et viens!
Le directeur de l'hôpital voulut s'opposer à la volonté du gentilhomme.
Mais celui-ci le regarda en disant:
--Je suis le père, monsieur!
Au reste, Aubin Ploguen avait déjà obéi.
Le corps du jeune comte pesait à ses bras comme une plume à la main
d'un enfant.
Ce fut une marche lugubre à travers cette cité sombre et agitée.
M. de Kardigân restait muet.
--Mademoiselle Marianne se porte bien? monsieur le marquis, demanda
le serviteur, qui croyait adoucir ainsi la plaie saignante de son maître.
--Oui... bien... très-bien... elle repose.
Puis il retomba dans ses pensées.
Aubin ne connut l'affreuse vérité de cette réponse qu'en arrivant à
l'hôtel de Riom.
Il demeura tout tremblant devant cette terrible catastrophe qui, par deux
fois, torturait ainsi le coeur du vieillard.
Dieu est le souverain consolateur.
Pas une plainte, pas une imprécation n'étaient sorties de ces coeurs
loyaux et religieux.
M. de Kardigân plaça côte à côte le frère et la soeur sur le même lit.
Au jour levé, il commanda deux cercueils en chêne, où il renferma
lui-même ces deux êtres, qu'il avait tant aimés.
Les cercueils de chêne furent soudés ensuite dans des boîtes en plomb.
Il trouvait une sorte de volupté âpre à remplir lui-même ces
douloureuses fonctions.
Puis, quand tout fut terminé:
--Viens les venger, maintenant! dit-il.
Les Mémoires de 1830 ont conservé le souvenir de deux hommes qui
firent des merveilles d'énergie et de bravoure, pendant la troisième de
ces journées maudites.
Enfermés dans une maison du quai Voltaire, ils se battirent comme des
furieux, seuls contre quatre cents insurgés.
Exaspérés d'être décimés par ces deux héros, qui abattaient un homme à
chaque coup, ceux-ci résolurent de mettre le feu à la maison.
Mais les deux hommes ne cessèrent pas leurs meurtrières attaques.
Des trous sanglants se faisaient dans la colonne révolutionnaire.
Quand les flammes dominèrent le toit de la maison, la porte cochère,
barricadée jusque-là, s'ouvrit, et ils s'élancèrent au dehors, portant, l'un
une hache, l'autre une poutre enflammée, avec lesquelles ils
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