sur le lit, donnant à la pauvre morte aimée un linceul de clématites, de camélias et de roses.
Puis il reprit sa prière.
Quand madame de Riom, presque folle, eut recouvré un peu de raison, elle supplia son cousin de quitter cette chambre.
--Ne soyez pas injuste, dit-elle; ceux qui ne sont plus doivent être aimés d'un amour égal. Louis attend!
M. de Kardigan se rappela qu'un autre cadavre l'attendait, en effet.
Il voulut s'éloigner; mais comme un aimant invincible l'attachait à ce lit; il se précipita sur le corps de Marianne, couvrant de larmes et de caresses ce front glacé.
--Ah! mon Dieu, s'écria-t-il, qu'avait fait cette enfant pour que tu me la prisses!
IV
LA TROISIèME JOURNéE
M. de Kardigan eut une idée pieuse pendant qu'il quittait sa fille morte pour aller retrouver son fils mort.
Il voulut réunir dans la même tombe ces deux êtres, dont l'a?né n'avait pas vingt-six ans, comme ils avaient été réunis dans la vie.
Aubin Ploguen était resté à la même place.
--Lève-toi, mon gars, dit le marquis d'une voix sourde. Prends mon fils dans tes bras, et viens!
Le directeur de l'h?pital voulut s'opposer à la volonté du gentilhomme.
Mais celui-ci le regarda en disant:
--Je suis le père, monsieur!
Au reste, Aubin Ploguen avait déjà obéi.
Le corps du jeune comte pesait à ses bras comme une plume à la main d'un enfant.
Ce fut une marche lugubre à travers cette cité sombre et agitée.
M. de Kardigan restait muet.
--Mademoiselle Marianne se porte bien? monsieur le marquis, demanda le serviteur, qui croyait adoucir ainsi la plaie saignante de son ma?tre.
--Oui... bien... très-bien... elle repose.
Puis il retomba dans ses pensées.
Aubin ne connut l'affreuse vérité de cette réponse qu'en arrivant à l'h?tel de Riom.
Il demeura tout tremblant devant cette terrible catastrophe qui, par deux fois, torturait ainsi le coeur du vieillard.
Dieu est le souverain consolateur.
Pas une plainte, pas une imprécation n'étaient sorties de ces coeurs loyaux et religieux.
M. de Kardigan pla?a c?te à c?te le frère et la soeur sur le même lit.
Au jour levé, il commanda deux cercueils en chêne, où il renferma lui-même ces deux êtres, qu'il avait tant aimés.
Les cercueils de chêne furent soudés ensuite dans des bo?tes en plomb.
Il trouvait une sorte de volupté apre à remplir lui-même ces douloureuses fonctions.
Puis, quand tout fut terminé:
--Viens les venger, maintenant! dit-il.
Les Mémoires de 1830 ont conservé le souvenir de deux hommes qui firent des merveilles d'énergie et de bravoure, pendant la troisième de ces journées maudites.
Enfermés dans une maison du quai Voltaire, ils se battirent comme des furieux, seuls contre quatre cents insurgés.
Exaspérés d'être décimés par ces deux héros, qui abattaient un homme à chaque coup, ceux-ci résolurent de mettre le feu à la maison.
Mais les deux hommes ne cessèrent pas leurs meurtrières attaques.
Des trous sanglants se faisaient dans la colonne révolutionnaire.
Quand les flammes dominèrent le toit de la maison, la porte cochère, barricadée jusque-là, s'ouvrit, et ils s'élancèrent au dehors, portant, l'un une hache, l'autre une poutre enflammée, avec lesquelles ils se frayèrent un passage à travers des poitrines humaines.
Ces deux hommes étaient le marquis de Kardigan et Aubin Ploguen.
Un livre, publié en 1837, raconte ce fait unique.
Toute la journée, les Bretons s'étaient battus.
Quand ils eurent élevé un holocauste héro?que à ceux qui n'étaient plus, M. de Kardigan se dirigea, toujours suivi d'Aubin, vers la caserne de la Place, où les gardes-du-corps avaient leur poste.
Naturellement les gardes-du-corps étaient à Saint-Cloud avec le roi.
Pourtant on lui dit que M. le duc de Raguse, maréchal Marmont, ayant envoyé à M. de Salis, colonel commandant les Suisses, son aide de camp M. de Guise, M. de Salis avait expédié de son c?té un officier des gardes-du-corps au maréchal.
Cet officier devait coucher à la caserne, et ne repartir pour Saint-Cloud que le lendemain au soir.
--Quel est son nom? demanda le marquis.
--Le baron de Kardigan.
C'était son fils en effet.
Le Breton laissa Aubin Ploguen à la caserne, avec ordre d'annoncer à Jean son arrivée, mais de ne lui rien dire des deux catastrophes qui venaient de fondre sur la famille.
Puis lui-même gagna l'école polytechnique.
Il n'y arriva qu'à une heure avancée.
--C'est le troisième de mes enfants que je vais voir, pensa le vieillard. Vais-je le trouver mort comme les autres?
Il cherchait bien à se rassurer, en se disant que les élèves de l'école n'avaient pu désobéir à l'ordre du ministre qui les consignait.
Mais il ne croyait plus qu'au malheur.
Son coeur se serra quand il entra dans la cour de l'école.
Elle paraissait vide; de temps à autre, un polytechnicien traversait le préau en courant, les vêtements déchirés, l'oeil hagard.
Un groupe d'hommes causait vivement dans un coin.
Le marquis prêta l'oreille pour écouter ce qu'ils disaient.
--Il est mort? demandait une voix.
--Pas encore.
--Où a-t-il été blessé?
--D'un coup de ba?onnette dans le ventre.
--Mais est-ce s?r?
--Très-s?r. C'est Charras et Lothon[1] qui ont apporté la nouvelle.
En entendant ces quelques mots, le gentilhomme frissonna dans tout son être. Il fut obligé de se
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