été tué.
--Louis... tué!...
La jeune fille tressaillit violemment et chancela.
Mais c'était une vraie enfant de preux. Le ton rosé de sa figure fut remplacé par une paleur mate; un cercle noir se forma autour de ses yeux.
Elle alla au fond de la cour de l'h?tel s'agenouiller devant une madone en pierre, et pria.
--Oh! mon pauvre père, comme vous devez souffrir! s'écria-t-elle en se relevant et en entourant de ses bras le cou du vieillard.
Elle ne pensait pas à sa souffrance à elle.
Cependant les heures marchaient.
M. de Kardigan, rassuré sur le compte de ses enfants, voulait retourner à la Charité. Mais, au moment où il allait sortir de l'h?tel, une vive fusillade éclata dans la rue de Varennes.
Le vieux Breton sentit l'odeur de la poudre et respira longuement, comme un cheval de bataille.
Des soldats, enfermés dans la rue et bloqués par des insurgés trois fois plus nombreux, se défendaient avec acharnement.
M. de Kardigan embrassa une dernière fois sa fille et se jeta dans la lutte.
Un soldat frappé au front était tombé au milieu du trottoir, tenant encore son fusil dans sa main crispée.
Il ramassa l'arme et se battit.
L'h?pital improvisé de la chanoinesse de Riom s'encombrait rapidement.
La bataille devenait de plus en plus sanglante. A chaque instant on apportait les blessés.
Il vint même un moment où il ne resta plus une seule place vide dans la cour de l'h?tel.
Alors madame de Riom fit jeter des matelas dans la rue même, sur lesquels on mettait les blessés.
Il y eut, pendant ces trois funèbres journées, bien des dévouements ignorés, bien des sacrifices inconnus.
Mais, parmi ces dévouements et ces sacrifices, il faut compter ceux de ces femmes qui n'hésitaient pas à braver la mort pour panser les malheureux qui tombaient.
Marianne et sa tante allaient les relever sous la grêle des balles, trouvant de bonnes paroles et de doux encouragements pour ces infortunés.
Le père, entre deux coups de feu, contemplait sa fille avec orgueil.
Son sang parlait dans ce dévouement simple et sublime.
Les heures passaient rapides.
Tout à coup, celui qui dirigeait le mouvement des insurgés comprit qu'il était temps d'achever l'écrasement de cette poignée d'hommes.
Des secours pouvaient leur arriver; il ordonna aux siens de faire une attaque générale.
Dès lors, ce ne fut plus une bataille, mais un égorgement. L'histoire a consacré le souvenir de quelques-unes des atrocités qui y furent commises.
A mesure qu'ils conquéraient une maison, les insurgés y entraient et poursuivaient à travers les étages les malheureux soldats.
C'est dans cette rue de Varennes qu'on jeta par les fenêtres du cinquième étage des Suisses et des gardes-du-corps.
Au milieu de ce tourbillon de fer, Marianne et madame de Riom étaient restées impassibles, continuant, sans reculer, leur oeuvre pieuse.
Tout à coup M. de Kardigan crut entendre sa fille jeter un cri déchirant.
Il se retourna et l'aper?ut, les genoux sur le sol, pale, presque livide.
Il se précipita en arrière, sans s'occuper des insurgés qui gagnaient du terrain.
Marianne se releva péniblement; une balle venait de lui traverser le bras.
Elle vint en chancelant se réfugier sur la poitrine de son père.
La fière héro?ne redevenait femme: la douleur refaisait d'elle une enfant.
--Père! père! je souffre, murmura-t-elle en laissant pencher son front sur l'épaule du marquis.
Au même instant, à trente mètres de là, un insurgé parut à la fenêtre d'une maison.
--Ah! les femmes s'en mêlent! cria-t-il. Eh bien, attends un peu!
Il abattit son fusil dans la direction de Marianne.
M. de Kardigan voulut arracher au danger son bien-aimé fardeau.
Mais il était trop tard.
Marianne eut un tressaillement intérieur qui tendit son corps dans un spasme suprême... puis ses bras retombèrent inertes.
--Père... père! balbutia-t-elle encore.
Elle était morte.
M. de Kardigan se jeta dans l'h?tel, et, là, déposa la pauvre enfant sur un de ces lits improvisés par sa généreuse charité.
Puis lui-même, accablé par ce nouveau coup, perdit connaissance et s'évanouit.
* * * * *
La seconde journée s'acheva comme la première. Quel chemin de croix pour cet homme, qui venait à Paris pour embrasser ses enfants, et qui sur son chemin ne rencontrait que des tombes!
Quand il revint à lui, la nuit--la seconde!--couvrait la ville.
Le sentiment de la réalité, se réveillant en lui avec la douleur, lui rappela ces deux deuils qui l'écrasaient.
On avait transporté Marianne dans la chambre de sa tante. Elle reposait sur le lit, revêtue encore de son uniforme de soeur de charité.
M. de Kardigan, vieilli de cent ans, courbé en deux par l'angoisse et le désespoir, tenait sa tête cachée dans les draps du lit.
La balle avait traversé le coeur. La jeune fille semblait dormir: son visage, laissé calme par ce grand repos de la mort, souriait encore.
Le père regardait; ses yeux étaient secs. Il avait tant pleuré qu'il n'avait plus de larmes!
--Elle aimait les fleurs... dit-il.
Alors il alla péniblement, se tra?nant plut?t que marchant, vers une serre naturelle où croissaient, sous le chaud soleil de juillet, des plantes embaumées.
Il fit une abondante moisson, qu'il jeta
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