Jean-nu-pieds, Vol. 2 | Page 8

Albert Delpit
que je dis: Je veux. Obéissez!
--Oh! Madame...
La princesse crut que le jeune homme résistait. Elle releva le front et
s'approcha de la fenêtre ouverte.
Nous avons dit que cette fenêtre donnait sur le bouquet de bois qui
englobait la ferme. Il faisait nuit, mais au loin on entendait encore de
temps à autre quelques coups de fusil isolés.
--Venez, marquis, écoutez! reprit-elle. Le seul, le vrai roi de France, le
descendant de Philippe Auguste et de saint Louis ne règne que sur une
langue de terre. On lui a pris son royaume, son peuple et son armée.
Son royaume... est une ferme; son peuple... quelques paysans; son
armée, les meilleurs gentilshommes de France, mais qui ne feraient pas
le nombre d'une compagnie sur le champ de parade, s'ils font dix
régiments sur le champ de bataille! Refuserez-vous, vous, l'un de
ceux-là, l'obéissance que je réclame en son nom, à un ordre de ce roi
sans royaume, sans peuple et sans armée?
Jean-Nu-Pieds tomba à genoux, comme Fernande quelques instants

auparavant.
--Oh! soyez bénie! soyez à jamais bénie, Madame.
--Marquis, je vous relève de votre serment. Votre père, qui vous l'a
imposé, comme moi pardonnerait la tache originelle de cette enfant
puisque je lui pardonne bien, moi! Allez et soyez heureux!... Dieu vous
garde!
Elle mit la main du jeune homme dans celle de la jeune fille.
Ils baisèrent, à genoux, celle que leur tendait la princesse, et se
retirèrent de cette humble chambre, où la première femme de France
venait de récompenser l'un des siens par un don plus précieux que
l'Ordre du Saint-Esprit ou de la Toison d'Or.
Elle les regarda disparaître et passer ensuite sous les grands arbres.
Alors, seulement, cette noble princesse sentit la fatigue qui l'écrasait.
Elle referma la fenêtre et murmura dans la langue italienne qu'elle
parlait si bien ces deux vers d'un poëte de son pays:
O jeunesse, printemps de la vie... O printemps, jeunesse de l'année. ...
* * * * *
... Jean serrait le bras de Fernande contre le sien et se perdait avec elle
sous la feuillée.
Comme cette promenade nocturne différait de celle qu'ils avaient faite
ensemble quelques jours auparavant!
Ils ne se parlaient pas. L'émotion ressentie était trop grande pour que
des paroles la pussent traduire.
Quoi! après tant de désespérances, ils se voyaient donc réunis, et pour
toujours!
Tout à coup, une ombre se dressa devant eux.

Jean sortait de son silence au même instant, et disait à Fernande:
--Chère, c'est Dieu qui vous a inspirée!...
--Pardon, monsieur la marquis, répliqua respectueusement la voix de
l'ombre, ce n'est pas Dieu.
--Aubin! toi, ici? s'écria Jean, stupéfait de trouver là son serviteur.
--Je venais saluer la marquise de Kardigân, maître.
--Tu sais donc...
Fernande serrait déjà la main du Breton.
--C'est lui qui m'a inspirée, ami, dit-elle tout bas...
--Aubin! ah! que Dieu te récompense. J'allais mourir... Tu nous as
sauvés de la mort... car elle aussi en serait morte!
Aubin pâlit de joie.
Puis il ajouta avec sa philosophie habituelle:
--Je ne vous cacherai pas, monsieur le marquis, que c'est mon
opinion!...
Le fidèle serviteur disparut. Ils restaient seuls, la main dans la main, le
coeur rempli de cette ineffable joie que donne le bonheur trouvé dans
l'accomplissement du devoir accompli.
--Fernande, ma chère femme, dit Jean, sortant enfin le premier de son
silence; Fernande, dans un mois nous serons unis l'un à l'autre; que de
projets nous pourrons réaliser! Nous ne nous quitterons pas. Ma
volonté est de rester jusqu'au bout attaché à mon devoir. J'ai aimé trois
choses humaines par-dessus tout: ma patrie, mon roi et vous. Je me dois
à ceux-ci... La lutte peut être longue: que ne souffrirais-je pas, si nous
étions séparés?

--Jean, j'avais pensé ce que vous me dites. Non, il ne faut pas nous
séparer.
--Jamais!
--Jamais...
Le bonheur les enveloppait.
Ils suivaient lentement le petit chemin qui menait à la chaumière
occupée par la jeune fille. Il semblait à M. de Kardigân qu'il devait
reconduire sa fiancée à sa demeure.
Comme ils passaient devant la petite église, Fernande s'arrêta:
--Ami, dit-elle, je voudrais y entrer et prier Dieu...
Elle ajouta, serrant doucement la main de celui qui allait devenir son
mari:
--Jean, vous ne savez pas tout. J'étais entrée dans cette petite église, il y
a quelques heures, le coeur brisé. Il me semblait que nous étions pour
toujours séparés l'un de l'autre. Je m'étais jetée aux pieds du Sauveur, le
suppliant de me sauver, car je n'avais pas la force de vivre sans vous, et
je n'avais pas le courage d'être lâche avec vous! Et il y a des
malheureux qui osent dire que Dieu n'entend pas... que Dieu est sourd à
nos prières!... Dieu m'a entendue... Madame priait Dieu à côté de
moi!...
Et comme le jeune homme
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