Jean-nu-pieds, Vol. 2 | Page 5

Albert Delpit
la chambre, mademoiselle. J'ai ma mission: il faut que j'��coute ce que va me dire mon f��al.
Fernande recula dans le fond de la pi��ce, ainsi que le lui avait ordonn�� la princesse.
L'humble chandelle ne r��pandait qu'une lueur tremblante qui assombrissait les deux tiers de la chambre. Mademoiselle Gr��goire comprit que Jean la distinguerait �� peine et, en tout cas, ne la reconna?trait point.
En effet, M. de Kardigan entra presque imm��diatement et vint saluer la princesse, attendant qu'elle lui adressat la parole.
Madame, d'un coup d'oeil, s'��tait aper?ue que la jeune fille ne verrait pas son incognito trahi.
--Eh bien! marquis, dit-elle, avez-vous fait la reconnaissance?
--Oui, Madame.
--Avez-vous pouss�� jusqu'au chateau de la P��nissi��re?
--Oui, Madame. J'y ai trouv�� quelques-uns de nos amis. Ils attendaient les d��l��gu��s du Midi.
--Et rien de dangereux?
--Je l'ignore. Sur la route nous avons aper?u un grand nombre de soldats de ligne et quelques dragons. Je crains que le g��n��ral Dermoncourt n'ait eu avis de la r��union royaliste qui doit s'y tenir demain.
--Ah! murmura la princesse, en fron?ant le sourcil, ceci est grave. Je tiendrais cependant �� ce que l'entrevue de la P��nissi��re ne f?t pas troubl��e.
--Votre Altesse me permet-elle une observation?
--Si je vous la permets? Je vous la demande, au contraire. Vous ��tes de ceux, marquis, qui sont bons soldats dans la bataille, et bons juges dans le conseil.
--Eh bien! Madame, il faudrait peut-��tre avertir vos amis de transporter la r��union ailleurs... �� Clisson, par exemple.
J'ai comme un pressentiment que nos ennemis pourraient bien diriger demain une colonne d'attaque contre le chateau.
--En effet...
--Il est environ minuit: Votre Altesse doit ��tre ��cras��e de fatigue. Au surplus, demain d��s la premi��re heure, il sera encore temps de prendre une d��cision �� cet ��gard. Si Madame le d��sire, M. de Charette, M. de Coislin et moi, nous pourrons nous r��unir ici demain matin.
--Tr��s-bien! c'est en effet ce qu'il y de mieux �� faire.
--Alors...
Jean faisait deux pas dans la direction de la porte: Madame ��tendit le doigt.
--A propos, marquis, j'aurais besoin de vous dans un quart d'heure.
--Je suis aux ordres de Madame.
--Envoyez-moi donc votre serviteur... Comment le nommez-vous, ce gars-l��? Il a une figure qui me revient.
--Aubin Ploguen, Madame; son p��re a ��t�� de ceux de la grande chouannerie.
--Envoyez-le moi, continua la princesse, et dites-lui d'attendre l��, sous ma fen��tre. Quand j'aurai besoin de vous, je n'aurai qu'�� ouvrir la fen��tre pour dire �� Aubin Ploguen d'aller vous chercher.
Le marquis salua et sortit.
--Allons, venez maintenant, mon enfant, dit Madame, tout haut, quand Jean-Nu-Pieds eut disparu, et achevez-moi votre r��cit. Votre p��re ne pouvant plus vous donner �� un autre, votre fianc�� et vous vous aimant, de qui pouvait venir le refus �� votre mariage?
Fernande r��pondit en relevant le front, non sans fiert��:
--De lui d'abord, de moi ensuite.
--De lui et de vous? Je ne comprends plus, alors...
--Ah! Madame, il y a une fatalit�� entre nous, la fatalit�� du crime! Il y avait dans le pass�� de mon p��re... un acte que moi, sa fille, je n'ai pas le droit de juger, mais que, chr��tienne, je condamne.
Fernande tira de sa poche un papier; c'��tait la copie du testament de M. de Kardigan que Jean lui avait envoy��e nagu��res.
--Lisez, Madame, dit-elle.
La princesse, ��tonn��e, ne comprenait pas.
Alors, la jeune fille d��plia le papier et lut elle-m��me:
?Vous ne devez jamais vous laisser aller aux concessions du si��cle. Il est des hommes que vous devez ha?r. Mon fils, qu'il n'y ait jamais rien de commun entre vous et ceux qui ont renvers�� le Roi.
Quant �� ceux qui vivent encore parmi les r��gicides, votre devoir est de les punir si Dieu le permet. Je ne vous dis pas que je vous d��fends de faire commerce avec eux: mon fils ne peut les aimer, ni aimer leurs filles, ni aimer les leurs. Car s'il en ��tait autrement je sortirais de ma tombe pour vous maudire!
Que ma mal��diction vous atteigne encore, si vous oubliez que vous n'avez plus de fr��re. Qu'il soit chass�� de votre coeur comme je l'ai chass�� de notre famille! Qui fait alliance avec les r��gicides est r��gicide. En mourant, je ne lui pardonne pas, n'ayant pas la mis��ricorde de Dieu. Car Dieu ne pardonne pas, il oublie! Moi, je ne suis qu'un homme, et je ne peux pas oublier...?
--Ces lignes implacables, Madame, reprit la jeune fille, sont le testament de feu M. de Kardigan, le p��re de M. le marquis Jean de Kardigan. Jean a toujours ob��i �� son p��re!
Madame commen?ait �� entrevoir une partie de la v��rit��. Elle pressentait le drame. Cette noble femme n'avait pu s'emp��cher de frissonner en ��coutant les lignes lues par Fernande.
Elles respiraient une telle loyaut�� et, en m��me temps, une si grande expression de volont�� souveraine! Ce devait ��tre ainsi que parlaient Crillon et Bayard.
--Je vous ai dit, Madame, que c'��tait lui qui m'avait refus��e, lui qui m'adorait. Il faut que vous connaissiez
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