la chambre, mademoiselle. J'ai ma mission: il faut que j'écoute ce que va me dire mon féal.
Fernande recula dans le fond de la pièce, ainsi que le lui avait ordonné la princesse.
L'humble chandelle ne répandait qu'une lueur tremblante qui assombrissait les deux tiers de la chambre. Mademoiselle Grégoire comprit que Jean la distinguerait à peine et, en tout cas, ne la reconna?trait point.
En effet, M. de Kardigan entra presque immédiatement et vint saluer la princesse, attendant qu'elle lui adressat la parole.
Madame, d'un coup d'oeil, s'était aper?ue que la jeune fille ne verrait pas son incognito trahi.
--Eh bien! marquis, dit-elle, avez-vous fait la reconnaissance?
--Oui, Madame.
--Avez-vous poussé jusqu'au chateau de la Pénissière?
--Oui, Madame. J'y ai trouvé quelques-uns de nos amis. Ils attendaient les délégués du Midi.
--Et rien de dangereux?
--Je l'ignore. Sur la route nous avons aper?u un grand nombre de soldats de ligne et quelques dragons. Je crains que le général Dermoncourt n'ait eu avis de la réunion royaliste qui doit s'y tenir demain.
--Ah! murmura la princesse, en fron?ant le sourcil, ceci est grave. Je tiendrais cependant à ce que l'entrevue de la Pénissière ne f?t pas troublée.
--Votre Altesse me permet-elle une observation?
--Si je vous la permets? Je vous la demande, au contraire. Vous êtes de ceux, marquis, qui sont bons soldats dans la bataille, et bons juges dans le conseil.
--Eh bien! Madame, il faudrait peut-être avertir vos amis de transporter la réunion ailleurs... à Clisson, par exemple.
J'ai comme un pressentiment que nos ennemis pourraient bien diriger demain une colonne d'attaque contre le chateau.
--En effet...
--Il est environ minuit: Votre Altesse doit être écrasée de fatigue. Au surplus, demain dès la première heure, il sera encore temps de prendre une décision à cet égard. Si Madame le désire, M. de Charette, M. de Coislin et moi, nous pourrons nous réunir ici demain matin.
--Très-bien! c'est en effet ce qu'il y de mieux à faire.
--Alors...
Jean faisait deux pas dans la direction de la porte: Madame étendit le doigt.
--A propos, marquis, j'aurais besoin de vous dans un quart d'heure.
--Je suis aux ordres de Madame.
--Envoyez-moi donc votre serviteur... Comment le nommez-vous, ce gars-là? Il a une figure qui me revient.
--Aubin Ploguen, Madame; son père a été de ceux de la grande chouannerie.
--Envoyez-le moi, continua la princesse, et dites-lui d'attendre là, sous ma fenêtre. Quand j'aurai besoin de vous, je n'aurai qu'à ouvrir la fenêtre pour dire à Aubin Ploguen d'aller vous chercher.
Le marquis salua et sortit.
--Allons, venez maintenant, mon enfant, dit Madame, tout haut, quand Jean-Nu-Pieds eut disparu, et achevez-moi votre récit. Votre père ne pouvant plus vous donner à un autre, votre fiancé et vous vous aimant, de qui pouvait venir le refus à votre mariage?
Fernande répondit en relevant le front, non sans fierté:
--De lui d'abord, de moi ensuite.
--De lui et de vous? Je ne comprends plus, alors...
--Ah! Madame, il y a une fatalité entre nous, la fatalité du crime! Il y avait dans le passé de mon père... un acte que moi, sa fille, je n'ai pas le droit de juger, mais que, chrétienne, je condamne.
Fernande tira de sa poche un papier; c'était la copie du testament de M. de Kardigan que Jean lui avait envoyée naguères.
--Lisez, Madame, dit-elle.
La princesse, étonnée, ne comprenait pas.
Alors, la jeune fille déplia le papier et lut elle-même:
?Vous ne devez jamais vous laisser aller aux concessions du siècle. Il est des hommes que vous devez ha?r. Mon fils, qu'il n'y ait jamais rien de commun entre vous et ceux qui ont renversé le Roi.
Quant à ceux qui vivent encore parmi les régicides, votre devoir est de les punir si Dieu le permet. Je ne vous dis pas que je vous défends de faire commerce avec eux: mon fils ne peut les aimer, ni aimer leurs filles, ni aimer les leurs. Car s'il en était autrement je sortirais de ma tombe pour vous maudire!
Que ma malédiction vous atteigne encore, si vous oubliez que vous n'avez plus de frère. Qu'il soit chassé de votre coeur comme je l'ai chassé de notre famille! Qui fait alliance avec les régicides est régicide. En mourant, je ne lui pardonne pas, n'ayant pas la miséricorde de Dieu. Car Dieu ne pardonne pas, il oublie! Moi, je ne suis qu'un homme, et je ne peux pas oublier...?
--Ces lignes implacables, Madame, reprit la jeune fille, sont le testament de feu M. de Kardigan, le père de M. le marquis Jean de Kardigan. Jean a toujours obéi à son père!
Madame commen?ait à entrevoir une partie de la vérité. Elle pressentait le drame. Cette noble femme n'avait pu s'empêcher de frissonner en écoutant les lignes lues par Fernande.
Elles respiraient une telle loyauté et, en même temps, une si grande expression de volonté souveraine! Ce devait être ainsi que parlaient Crillon et Bayard.
--Je vous ai dit, Madame, que c'était lui qui m'avait refusée, lui qui m'adorait. Il faut que vous connaissiez
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