Jean-nu-pieds, Vol. 2 | Page 4

Albert Delpit
Philippe, était pour son père et pour son frère, mort, car il avait renié la croyance de ses a?eux...
--Les Kardigan sont grands à mes yeux, dit noblement Madame. Ils ont plus fait que dix générations, à eux seuls. J'ai oublié la chute de l'un d'eux...
--Vous l'avez oubliée, vous, madame, parce que le coeur de Votre Altesse Royale est bon et élevé... mais le père, le vieux gentilhomme, l'ancêtre, ne l'avait pas oubliée, lui! Il avait chassé, au mépris des lois des temps modernes, son fils renégat de sa famille. Il lui avait arraché son nom, en lui disant: ?Les Kardigan ne te connaissent plus. Va-t'en de ma famille!? Et le fils avait obéi. Il avait changé de nom... Et c'était lui que mon père voulait me faire épouser.
--Pauvre fille!
--Oh! oui, pauvre fille... Trop heureuse encore si mes malheurs avaient d? s'arrêter là. J'ai vu, au milieu de la nuit, les deux frères, armés l'un contre l'autre, l'épée à la main, ne se reconnaissant pas; j'ai vu mon fiancé tomber blessé... Je pouvais croire tous mes malheurs, toutes mes angoisses finis, car j'étais auprès lui, et mon père ne pouvait plus me forcer d'épouser un homme que je n'aimais pas, puisque le mari qui me destinait était le frère de mon fiancé... Il se retirait, me laissant libre... Mon coeur s'ouvrait à l'espérance et à la joie... Libre et aimer, que pouvais-je souhaiter de plus?
Madame était fort émue. Elle savait avec sa haute intelligence, que la vie cache des drames sombres, bien plus impressionnants que toutes les créations des po?tes, mais elle ne croyait pas que rien p?t atteindre à un pareil degré.
--Continuez votre confession, mon enfant, dit-elle. Vous avez bien fait de ne me rien cacher. Je ne comprends pas encore comment je pourrai vous être utile; mais, pour peu que ce soit possible, ou que cela dépende de moi, je vous promets que vous ne regretterez point d'être venue vous jeter à mes pieds.
Fernande saisit la main de Madame et la baisa. Une larme br?lante roula de ses yeux et tomba sur cette main.
--Allons, du courage, chère petite... Qu'avez-vous donc à me demander?
--J'ai à vous demander la vie, Altesse, et c'est pour cela que vous me voyez si émue.
Cette simple réponse remua profondément la Duchesse. Elle était partie du coeur et la touchait au coeur.
Machinalement, elle regarda autour d'elle, et hocha tristement la tête. On venait lui demander la vie, et l'implorer, et la supplier, le soir d'une défaite, lorsque l'étoile de sa race semblait palir!
Ses a?eux recevaient les solliciteurs dans leur palais, resplendissant de lumières et de luxe, gardé par des soldats qui portaient les plus illustres noms du royaume. Elle, elle recevait dans une humble chambre d'une ferme de village...
C'était, en effet, une imposante scène dans sa simplicité que cette reine, mère d'un roi et fille d'un roi, obligée de se déguiser et de cacher ses membres délicats sous la bure grossière d'un vêtement de paysan; que cette belle et jeune femme, reléguée, elle la plus grande dame de France, dans une pièce sombre, à peine éclairée d'une chandelle fumeuse, meublée à la hate, et se demandant si, à l'heure même, un des siens ne mourait pas obscurément pour la défendre?
Cette antithèse violente du passé et du présent la saisit au coeur et la fit penser.
On la sollicitait donc encore, elle dont la tête était mise à prix!
Puis ses yeux se reportèrent sur la pauvre jeune fille inclinée devant elle, et qui venait ?lui demander la vie...? Alors elle se jura intérieurement de tout faire pour lui rendre ce bonheur perdu, et quoi qu'elle sollicitat, de ne la quitter que joyeuse et consolée...
Fernande attendait un mot de Son Altesse pour continuer son récit, quand, au loin, à travers la nuit, on entendit retentir le galop effréné de plusieurs chevaux sur le pavé de la route.
Par instants, le vent tiède apportait le hennissement des montures. Madame ouvrit la fenêtre et appela. Un paysan se présenta.
--Mon gars, va à la découverte... et sache qui nous arrive.
Le gars prêta l'oreille.
--Je le sais, Madame... c'est mon ma?tre Jean-Nu-Pieds qui revient.
--Lui! dit la princesse, et elle regarda Fernande qui chancela.
Aubin Ploguen, le lecteur l'a reconnu, se pencha vers Fernande, et lui dit, de manière que la princesse p?t entendre:
--Ne craignez rien, ma?tresse. Ma Tante est bonne... ayez foi en elle.
--Ah! tu connais donc ce qu'elle a à me demander? mon gars, dit Madame avec un sourire.
--Je le sais.
--Elle te l'a raconté?
Aubin Ploguen s'inclina, puis:
--C'est moi qui lui ai conseillé de venir, ajouta-t-il tranquillement.
--Et tu as eu raison, mon gars: elle ne s'en repentira pas.
--C'est mon opinion.
Madame se mit à rire.
--Va dire à ton ma?tre, reprit-elle, que je le prie de venir me trouver.
Aubin Ploguen s'éloigna de la fenêtre que la princesse referma.
--Quoi! Votre Altesse veut.. s'écria Fernande en palissant.
--Retirez-vous au fond de
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