Jean-nu-pieds, Vol. 2 | Page 3

Albert Delpit
de vous faire obtenir une audience de Madame, n'est-ce pas? Eh bien! je tiens ma parole.
Et il enleva son chapeau.
Fernande jeta un cri.
--On vous a parlé de Petit-Pierre, reprit-il gaiement. Petit-Pierre... c'est moi, et Madame tient toujours les promesses de Petit-Pierre...
La princesse souriait. Fernande tomba à genoux, les mains jointes...

II
LE RéCIT
--Relevez-vous, mon enfant, dit Madame. On ne se met à genoux que devant Dieu.
Fernande se releva; mais ses larmes l'étouffaient: elle ne pouvait parler.
--J'étais dans l'église, en même temps que vous, continua la princesse. Je vous ai entendue appeler et invoquer Dieu. Vous souffrez? Dites-moi votre souffrance, et puisque je puis vous consoler, ayez confiance en moi...
Fernande essuya ses pleurs; puis regardant timidement la duchesse:
--Madame, dit-elle, vous seule pouvez me sauver... N'êtes-vous pas ma Providence et mon seul espoir? J'aime, j'aime ardemment un de vos gentilshommes et...
Fernande baissa les yeux. Quelle est la femme qui ne rougirait pas en faisant la confidence de son amour?
Avec sa délicatesse féminine si exquise, Madame comprit le trouble intime de la jeune fille.
Elle lui prit la main, et lui montrant une des chaises:
--Asseyez-vous là, mon enfant, dit-elle. Parlez, et ne craignez rien. Personne autre que moi ne vous entend. Puisque c'est à moi que vous avec voulu confier le soin de votre bonheur. Eh bien!... parlez!
Fernande se sentit gagnée aussit?t par l'expression pleine de bonté du langage de Madame.
--Laissez-moi vous dire, reprit-elle plus bas... Votre Altesse doit conna?tre mes angoisses et mes combats avant le jour où je me suis décidée à venir me jeter à ses pieds...
La première fois que je l'ai vu..., je vivrais cent ans que je me rappellerai toujours cette heure-là!... La première fois que je l'ai vu, c'était par une belle matinée d'été. Le soleil était radieux, et au dehors l'émeute grondait. C'était le 29 juillet 1830.
Madame palit un peu. Le souvenir de ces temps néfastes l'impressionnait toujours.
--Il venait remplir son devoir. Le Roi lui avait ordonné de mourir, il allait à la mort. Par bonheur, Dieu m'avait mise sur son passage... j'eus la joie de le sauver. Mais quand il partit, oh! Madame, je sentais bien qu'il ne partait pas seul et que mon coeur s'en allait avec lui. De longs mois se passèrent. Enfin, un matin, je sentis mon coeur battre violemment, j'eus le pressentiment que j'allais le revoir. Et, en effet, on vint m'avertir qu'il me demandait...
La jeune fille s'arrêta.
--Oh! que je fus heureuse! Je me suis dit bien souvent que j'avais expié depuis toutes mes joies d'un seul moment. Il venait dire qu'il m'aimait, que depuis notre rencontre, il n'avait pas cessé de m'aimer... Il venait dire que c'était à moi de décider si je consentais à devenir sa femme.
Consentir! consentir à cela qui était le rêve le plus ardent de ma vie!... Madame, je lui ai tout raconté: mon amour pour lui, que je n'avais même pas combattu tant il me paraissait loyal et profond. Pourquoi lui aurais-je menti? C'était ma joie suprême que l'aveu prononcé par ses lèvres. Je me sentais bien heureuse!...
Il me prit la main, et nous échangeames le serment d'être l'un à l'autre, avec la confiance de notre loyauté commune.
La princesse ne cachait pas le vif intérêt qu'elle prenait à cette na?ve histoire d'amour... Oh! comme on a eu raison de le dire: L'amour est toujours banal et toujours nouveau!
--Continuez, mon enfant, dit-elle.
--Votre Altesse ne comprend pas où je veux en venir? Qu'elle me pardonne si je m'étends ainsi sur les détails de notre rencontre... Mais il me semble que je suis devant mon juge, et qu'il doit tout conna?tre...
Je croyais que rien ne pouvait empêcher notre bonheur, continua Fernande. Il était libre et j'avais le droit de penser que je l'étais aussi.
Son père, ses frères, sa soeur avaient succombé pour le Roi. Ma mère, à moi, était morte, et mon père m'avait toujours laissée libre de mes actions.
Je me fian?ais, confiante et assurée.
Il venait à peine de me quitter que mon père parut...
O madame, à vous seule au monde je consentirai à raconter une pareille chose!... Mon père! cet homme dur, implacable, qui ne conna?t d'autres règles que sa volonté, d'autres lois que son intérêt, il venait m'ordonner de me préparer à un mariage arrêté par lui. Je me débattis en vain. Sa volonté était là. Enfin...
Elle s'arrêta. Puis courbant le front:
--Madame, reprit-elle, je ne vous ai pas encore nommé celui auquel j'appartiens devant Dieu. Il faut que vous connaissiez son nom pour comprendre l'horreur où j'ai été jetée: c'est le marquis de Kardigan!
--Jean-Nu-Pieds!
--Oui, madame...
--Vous avez bien choisi, mon enfant, et votre coeur ne s'est pas trompé. Celui-là est, en effet, un vrai gentilhomme, et le digne fils des chevaliers d'autrefois.
--Vous avez connu, madame, les catastrophes répétées qui ont brisé cette famille...
La princesse fit un signe affirmatif.
--Des quatre enfants, il n'en restait qu'un seul de vivant: Jean... L'autre fils,
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