Jean Ziska | Page 8

George Sand
cherchez dans les historiens l'histoire suivie, claire
et précise des manifestations progressives qui ont amené celles du
dix-huitième siècle et celles d'aujourd'hui, vous ne l'y trouverez que
confuse, tronquée et profondément inintelligente. Parmi les
modernes[8], les uns, effrayés de la multiplicité des sectes et de
l'obscurité répandue sur leurs doctrines par les arrêts mensongers de
l'inquisition et l'auto-da-fé des documents, ont craint de se tromper et
de s'égarer; les autres ont tout simplement méprisé la question, soit
qu'ils ne s'intéressassent point à celle qui agite notre génération, soit
qu'ils n'aperçussent point ses rapports avec l'histoire des anciennes
sectes. Parmi les anciens historiens, c'est bien autre chose. D'abord il y
a plusieurs siècles (et ce ne sont pas les moins remplis de faits et d'idées)
dont il ne reste rien que des arrêts de mort, de proscription et de
flétrissure. Durant ces siècles, l'Église prononça la sentence de
l'anéantissement des individus et de leur pensée: maîtres et disciples,
hommes et écrits, tout passa par les flammes; et les monuments les plus
curieux, les plus importants de ces âges de discussion et
d'effervescence sont perdus pour nous sans retour.
[Note 8: Depuis quelques années, de louables et heureuses tentatives
ont été faites à cet égard. M. Michelet, M. Lavallée, M. Henri Martin
surtout, ont commencé à jeter un nouveau jour sur ces questions, et à
les traiter avec l'attention qu'elles méritent. Je ne parle pas des beaux
travaux fragmentaires de l'_Encyclopédie nouvelle_, et de certains
autres dont les idées que j'émets ici ne sont qu'un reflet et une
vulgarisation.]
Ainsi, le rôle de l'Église, dans ces temps-là, ressemble à l'invasion des

barbares. Elle a réussi à plonger dans la nuit du néant les monuments de
la pensée humaine; mais le sentiment qui enfanta ces idées condamnées
et violentées ne pouvait périr dans le coeur des hommes. L'idée de
l'égalité était indestructible; les bourreaux ne pouvaient l'atteindre: elle
resta profondément enracinée, et ce que vous voyez aujourd'hui en est
la suite ininterrompue et la conséquence directe.
Les siècles persécutés, et pour ainsi dire étouffés, dont je vous parle,
embrassent toute l'existence du christianisme jusqu'à la guerre des
hussites. Là l'histoire devient plus claire, parce que les insurrections
religieuses aboutissent enfin à des guerres sociales. Les questions se
posent plus nettement, non plus tant sous la forme de propositions
mystiques que sous celle d'articles politiques. Bientôt après arrive la
réforme de Luther, les grandes guerres de religion, la création d'une
nouvelle église, qui échappe aux arrêts de l'ancienne et qui conserve les
monuments de son action historique, grâce à l'invention de l'imprimerie,
qui neutralise celle des bûchers.
Il semblerait que cette nouvelle église de Luther, pénétrée d'amour et de
respect pour les longues et courageuses hérésies qui l'avaient précédée,
préparée et mise au monde, eût dû consacrer d'abord sa ferveur et sa
science à reconstruire l'histoire de son passé, à refaire sa généalogie, à
retrouver ses titres de noblesse. Elle était encore assez près des
événements pour chercher dans ses traditions le fil de son existence,
dont l'Église romaine avait détruit l'écriture. Elle ne le fit pourtant pas,
occupée qu'elle était à se constituer dans le présent et à poursuivre une
lutte active. Mais il faut bien avouer aussi que ses docteurs et ses
historiens manquèrent souvent de courage et reculèrent avec effroi
devant l'acceptation du passé. Ce passé était rempli d'excès et de délires.
Nous l'avons dit plus haut, c'était le temps de la violence; et les hussites
le disaient dans leur style énergique: _C'est maintenant le temps du zèle
et de la fureur_. Nous dirons, plus tard, comment ils se croyaient les
ministres de la colère divine. Mais ces délires, ces excès, ce zèle et
cette fureur ne dévoraient-ils pas aussi le sein de l'Eglise romaine?
Rome avait-elle le droit de leur reprocher quelque chose en fait de
vengeance et de cruauté, de meurtre et de sacrilège? Les docteurs
protestants reculèrent pourtant devant les accusations dont on chargeait

la tête de leurs pères. Luther lui-même, vous le savez, fut le premier à
s'épouvanter du torrent dont il avait rompu la dernière digue. Comment
eût-il pu accepter la tache glorieuse de son origine, lui qui désavouait
déjà l'oeuvre terrible de ses contemporains et l'audace qu'il supposait à
sa postérité?
Il légua son épouvante à ses pâles continuateurs. Les uns, reniant leur
illustre et sombre origine, s'efforcèrent de prouver qu'il n'avaient rien
de commun avec ceux-ci ou ceux-là; les autres, plus religieux, mais non
moins timides, s'attachèrent à blanchir la mémoire de leurs aïeux dans
l'hérésie de tous les excès qui leur étaient imputés. De là résulta une
foule d'écrits, qu'il peut être bon de consulter, parce qu'il s'y trouve,
comme dans tout, des lambeaux de vérité, mais auxquels il est
impossible de se rapporter entièrement, pour connaître la vérité des
sentiments historiques, à la recherche
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