desquels nous voici lancés[9].
[Note 9: M. Lenfant, dans une longue et curieuse histoire du concile de
Bâle dont nous avons extrait ces notes sur la guerre hussitique,
abandonne la cause, sans façon, à la sévérité de son siècle. Il raille et
méprise plus souvent qu'il n'admire. M. de Beausobre, dans ses travaux
très-supérieurs comme intelligence, comme érudition et comme aperçu
de sentiment, s'efforce de nier des faits qui ont cependant un caractère
de vérité historique. Il donne un démenti général et particulier à toutes
les assertions des écrivains catholiques, et poussant la partialité un peu
loin, fait l'hérésie blanche comme neige.]
Il ne s'agit ici de rien moins que de décider tout le contraire de ce qu'ont
décidé des gens très-graves et très-savants: à savoir que, comme il n'y a
qu'une religion, il n'y a qu'une hérésie. La religion officielle, l'église
constituée a toujours suivi un même système; la religion secrète, celle
qui cherche encore à se constituer, cette société idéale de l'égalité, qui
commence à la prédication de Jésus, qui traverse les siècles du
catholicisme sous le nom d'hérésie, et qui aboutit chez nous jusqu'à la
révolution française, pour se réformer et se discuter, à défaut de mieux,
dans les clubs chartistes et dans l'exaltation communiste, cette
religion-là est aussi toujours la même, quelque forme qu'elle ait revêtue,
quelque nom dont elle se soit voilée, quelque persécution qu'elle ait
subie. Femmes, c'est toujours votre lutte du sentiment contre l'autorité,
de l'amour chrétien, qui n'est pas le dieu aveugle de la luxure païenne,
mais le dieu clairvoyant de l'égalité évangélique, contre l'inégalité
païenne des droits dans la famille, dans l'opinion, dans la fidélité, dans
l'honneur, dans tout ce qui tient à l'amour même. Pauvres laborieux ou
infirmes, c'est toujours votre lutte contre ceux qui vous disent encore:
«Travaillez beaucoup pour vivre très-mal; et si vous ne pouvez
travailler que peu, vous ne vivrez pas du tout.» Pauvres d'esprit à qui la
société marâtre a refusé la notion et l'exemple de l'honnêteté, vous
qu'elle abandonne aux hasards d'une éducation sauvage, et qu'elle
réprime avec la même rigueur que si vous connaissiez les subtilités de
sa philosophie officielle, c'est toujours votre lutte. Jeunes intelligences
qui sentez en vous l'inspiration divine de la vérité, et qui n'échappez au
jésuitisme de l'Église que pour retomber sous celui du gouvernement,
c'est toujours votre lutte. Hommes de sensation qui êtes livrés aux
souffrances et aux privations de la misère, hommes de sentiment qui
êtes déchirés par le spectacle des maux de l'humanité et qui demandez
pour elle le pain du corps et de l'âme, c'est toujours votre lutte contre
les hommes de la fausse connaissance, de la science impie, du
sophisme mitré ou couronné. L'hérésie du passé, le communisme
d'aujourd'hui, c'est le cri des entrailles affamées et du coeur désolé qui
appelle la vraie connaissance, la voix de l'esprit, la solution religieuse,
philosophique et sociale du problème monstrueux suspendu depuis tant
de siècles sur nos têtes. Voilà ce que c'est que l'hérésie, et pas autre
chose: une idée essentiellement chrétienne dans son principe,
évangélique dans ses révélations successives, révolutionnaire dans ses
tentatives et ses réclamations; et non une stérile dispute de mots, une
orgueilleuse interprétation des textes sacrés, une suggestion de l'esprit
satanique, un besoin de vengeance, d'aventures et de vanité, comme il a
plu à l'Eglise romaine de la définir dans ses réquisitoires et ses
anathèmes.
Maintenant que vous apercevez ce que c'est que l'hérésie, vous ne vous
imaginerez plus, comme on le persuade à vous, femmes, et à vos
enfants, lorsqu'ils commencent à lire l'histoire, que ce soit un chapitre
insipide, indigne d'examen ou d'intérêt, bon à reléguer dans les
subtilités ridicules du passé théologique. On a réussi à embrouiller ce
chapitre, il est vrai; mais l'affaire des esprits sérieux et des coeurs
avides de vérité sera désormais d'y porter la lumière. Prétendre faire
l'histoire de la société chrétienne sans vouloir restituer à notre
connaissance et à notre méditation l'histoire des hérésies, c'est vouloir
connaître et juger le cours d'un fleuve dont on n'apercevrait jamais
qu'une seule rive. On raconte qu'un Anglais (ce pouvait bien être un
bourgeois de Paris), ayant loué, pour faire le tour du lac de Genève, une
de ces petites voitures suisses dans lesquelles on voyage de côté, se
trouva assis de manière à tourner constamment le dos au Léman, de
sorte qu'il rentra à son auberge sans l'avoir aperçu. Mais on assure qu'il
n'en était pas moins content de son voyage, parce qu'il avait vu les
belles montagnes qui entourent et regardent le lac. Ceci est une
parabole triviale, applicable à l'histoire. La montagne, c'est l'Église
romaine, qui, dans le passé, domine le monde de sa hauteur et de sa
puissance. Le lac profond, c'est l'hérésie, dont la source mystérieuse
cache des abîmes et ronge la base du mont. Le
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