l'hérésie nous a engendrés tout aussi légitimement, tout aussi
puissamment que notre autre mère la sainte Église. L'une nous a
baptisés, confessés et dirigés de siècle en siècle à la lumière du jour;
l'autre nous a travaillé le coeur, réchauffé l'esprit; elle nous a
tourmentés, inspirés, poussés en avant de siècle en siècle par ses voix
mystérieuses, toujours étouffées et toujours éloquentes; de profundis
clamavi ad te, c'est le chant éternel, c'est le cri déchirant de l'hérésie
plongée dans les cachots, ensevelie sous les bûchers, scellée vivante
dans la tombe, comme elle l'est encore sous les ténébreux arcanes de
l'histoire.
Femmes, quand je me rappelle que c'est pour vous que j'écris, je me
sens le coeur plus à l'aise; car je n'ai jamais douté que malgré vos vices,
vos travers, votre insigne paresse, votre absurde coquetterie, votre
frivolité puérile, il n'y eût en vous quelque chose de pur, d'enthousiaste,
de candide, de grand et de généreux, que les hommes ont perdu ou
n'ont point encore. Vous êtes de beaux enfants. Votre tête est faible,
votre éducation misérable, votre prévoyance nulle, votre mémoire vide,
vos facultés de raisonnement inertes. La faute n'en est point à vous!
Dieu a permis que dans l'oisiveté de votre intelligence votre coeur se
développât plus librement que celui des hommes, et que vous
conservassiez le feu sacré de l'amour, les trésors du dévouement, les
charmes attendrissants de l'incurie romanesque et du désintéressement
aveugle. Voilà pourquoi, pauvres femmes, nobles êtres qu'il n'a pas été
au pouvoir de l'homme de dégrader, voilà pourquoi l'histoire de
l'hérésie doit vous intéresser et vous toucher particulièrement; car vous
êtes les filles de l'hérésie, vous êtes toutes des hérétiques; toutes vous
protestez dans votre coeur, toutes vous protestez sans succès. Comme
celle de l'Église protestante de tous les siècles, votre voix est étouffée
sous l'arrêt de l'Église sociale officielle. Vous êtes toutes par nature et
par nécessité les disciples de saint Jean, de saint François, et des autres
grands apôtres de l'idéal. Vous êtes toutes pauvres à la manière des
éternels disciples du paupérisme évangélique; car, suivant la loi du
mariage et de la famille, vous ne possédez pas; et c'est à cette absence
de pouvoir et d'action dans les intérêts temporels, que vous devez cette
tendance idéaliste, cette puissance de sentiment, ces élans d'abnégation
qui font de vos âmes le dernier sanctuaire de la vérité, les derniers
autels pour le sacrifice.
J'essaierai donc de vous faire l'histoire de l'hérésie au point de vue du
sentiment, parce que le sentiment est la porte de votre intelligence.
Vous n'êtes pas sans savoir qu'il y a aujourd'hui une grande lutte
engagée dans le monde entre les riches et les pauvres, entre les habiles
et les simples, entre le grand nombre qui est faible encore par ignorance,
et le petit nombre qui l'exploite par ruse et par force. Vous savez qu'au
milieu de cette lutte dont la continuité serait contraire aux desseins de
Dieu, des idées profondes ont surgi; qu'elles ont pris toutes les formes,
même celles de l'erreur et de la folie: enfin, que mille sectes
philosophiques se partagent l'empire des esprits. Vous avez entendu
parler de celles qui ont fait la révolution française, des jacobins, des
montagnards, des girondins, des dantonistes, des babouvistes, des
hébertistes même, etc. Depuis quinze ans, vous avez vu d'autres sectes
déployer leurs bannières, d'autres idées, ou plutôt les mêmes idées au
fond, prendre de nouvelles formes, chez les saint-simoniens, les
doctrinaires, les fouriéristes, les communistes de Lyon, les chartistes
d'Angleterre, etc., etc.
Ce que vous trouvez au fond de toutes ces sectes philosophiques et de
tous ces mouvements populaires, c'est la lutte de l'égalité qui veut
s'établir, contre l'inégalité qui veut se maintenir; lutte du pauvre contre
le riche, du candide contre le fourbe, de l'opprimé contre l'oppresseur,
de la femme contre l'homme (du fils même contre le père dans la
législation, puisqu'il a fallu reconquérir la suppression du droit
d'aînesse); de l'ouvrier contre le maître, du travailleur contre
l'exploitateur, du libre penseur contre le prêtre gardien des mystères,
etc.; lutte générale, universelle, portant sur tous les principes, partant de
tous les points, imaginant tous les systèmes, essayant de tous les
moyens. Vous n'êtes pas au bout; vous en verrez bien d'autres et de
pires, si au lieu de laisser le champ libre à la discussion, le pouvoir
s'obstine à contraindre d'une part, et à corrompre de l'autre.
Eh bien, au point où nous en sommes, vous ne pouvez pas supposer que
tout cela soit absolument nouveau sous le soleil, que l'esprit humain ait
enfanté toutes ces manifestations pour la première fois depuis cinquante
ans. Il faudrait, pour cela, supposer que depuis cinquante ans seulement
le genre humain a commencé à vivre et à se rendre compte de ses droits,
de ses besoins de toutes sortes.
Et pourtant, si vous
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