souverains de la Bohême
devait, suivant la loi éternelle, détruire la nationalité de leur domination.
Przemysl-Ottokar II posséda, avec la Bohême, l'Autriche, la Carniole,
l'Istrie, la Styrie, une partie de la Carinthie, et jusqu'à un port de mer, ce
qui, pour le dire en passant, pourrait bien purger la mémoire de
Shakspeare d'une grosse faute de géographie[7]. Il fit la guerre aux
païens de Prusse, leur dicta des lois, bâtit Koenigsberg, prit sous sa
protection Vérone, Feltre et Trévise, et refusa par excès d'orgueil,
dit-on, plus que par modestie, la couronne impériale, qui échut à
Rodolphe de Habsbourg, lequel le dépouilla d'une partie de ses
domaines. Après lui, Wenceslas IV fut élu roi de Pologne. Wenceslas V,
qui réunit la Hongrie à ces possessions, se perdit dans la débauche, fut
assassiné à Olmutz et termina la dynastie nationale. Cinq ans après,
Jean de Luxembourg montait sur le trône de Bohème, et l'influence
allemande commençait à irriter les Bohémiens, livrés pour la première
fois depuis tant de siècles à une main étrangère. Jean, politique habile
et ambitieux, comprit son rôle, renvoya les fonctionnaires allemands et
promena sa noblesse dans des guerres à l'étranger. Il finit par se
promener lui-même hors de la contrée, sous prétexte de maladie, mais
en effet pour laisser aux Bohémiens le temps de s'habituer sans trop
d'amertume à sa domination. Il fit plusieurs voyages en France,
fréquenta les papes d'Avignon, et tout en respirant l'air salubre de ces
contrées, revint un beau jour, rapportant de par un décret de l'autorité
pontificale, la couronne impériale à son fils. Ce fils fut Charles IV,
premier roi de Bohème, empereur. Ses grands travaux donnèrent à cette
contrée un lustre qu'elle n'avait pas encore eu. Il bâtit la nouvelle ville
de Prague, composa le code des lois, fonda le collège de Carlstein, et
tenta de réunir la Moldaw au Danube. Mais son plus grand oeuvre fut la
fondation de l'Université de Prague à l'instar de celle de Paris, où il
avait étudié. Ce corps savant devint rapidement illustre et enfanta Jean
Huss, Jérôme de Prague et plusieurs autres hommes supérieurs;
c'est-à-dire qu'il enfanta le hussitisme, un idéal de république qui devait
bientôt faire une rude guerre à la postérité de son fondateur.
[Note 5: C'est à peu près comme si les étrangers, au lieu de nous
confirmer notre glorieux nom de Francs, s'obstinaient à nous appeler
Celtes. Les Boiens furent expulsés de la contrée à laquelle ils ont laissé
le nom de Bohême 500 ans avant notre ère, et les Tchèques sont une
toute autre race.]
[Note 6: Cette tradition du paysan-roi se retrouve chez tous les peuples
slave.]
[Note 7: On sait que dans un de ses drames à époques incertaines il fait
aborder sur un navire un de ses personnages en Bohème. Ce pouvait
être la port de Naon qu'acheta le roi Ottokar, et qui posa fastueusement
la limite de son empire au rivage de l'Adriatique.]
Charles IV chérissait tendrement cependant cette Université, sa noble
fille. Il y prenait tant de plaisir aux discussions savantes, que lorsqu'on
venait l'interrompre pour l'avertir de manger, il répondait, en montrant
ses docteurs échauffés à la dispute: «C'est ici mon souper; je n'ai pas
d'autre faim.» Malgré cette sollicitude paternelle pour l'éducation des
Bohémiens, ceux-ci ne l'aimèrent jamais et lui reprochèrent de trop
s'occuper des intérêts de sa famille. Le reproche fut peut-être injuste;
mais cette famille avait le tort impardonnable d'être étrangère: on le lui
fit bien voir.
Sous Wenceslas l'ivrogne, fils de Charles IV, l'Université de Prague,
forte de sa propre vie, grandit, se développa, acquit une immense
popularité, et produisit Jean Huss, qu'elle envoya, comme le plus beau
fleuron de sa couronne, au concile de Constance. Les pères du concile
ne lui renvoyèrent même pas ses cendres. L'Université fit faire à la
Bohème, dont elle était devenue la tête et le coeur, le serment d'Annibal
contre Rome.
Il ne faudrait pas croire cependant que la conversion de ce peuple
guerrier en un peuple raisonneur et théologien fût l'affaire de quelques
années et l'oeuvre entière de l'Université. Les choses ne se passent pas
ainsi dans la vie des nations. Permis aux pères des conciles de dire,
dans le style du temps, que le royaume de Bohême, jusque-là
fidèlement attaché à la religion, était devenu tout d'un coup l'_égout de
toutes les sectes_. Il y avait bien longtemps, au contraire, que la
Bohême tournait à l'hérésie, et que le monde civilisé tout entier,
_infecté de ce poison_, lui en infiltrait tout doucement le venin.
Si j'écrivais cette histoire pour les hommes graves (comme on dit de
tant d'hommes en ce temps-ci où il y a si peu de gravité), je ne pourrais
faire moins que de tracer maintenant l'histoire de l'hérésie. Il me
faudrait, pour remonter à son berceau, remonter à celui de l'Église;
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