trouva de sympathie nulle
part, parce qu'il n'avait jamais éprouvé de sympathie pour personne.
Sigismond aida les mécontents à lui faire un mauvais parti, et un beau
matin, en 1393, l'empereur Wenceslas fut mis aux arrêts dans la maison
de ville, ni plus ni moins qu'un ivrogne ramassé par la patrouille. Il s'en
échappa tout nu dans un bateau, où une femme du peuple le recueillit, à
telles enseignes qu'il en fit, dit-on, sa femme. Cependant Sigismond,
levant le masque, fondait sur la Bohême. Les Bohémiens relevèrent
leur fantôme de roi pour tenir l'usurpateur en respect et le repousser.
Wenceslas n'en fut pas plus sage, et se mit en besogne de vendre son
royaume pour boire. Il commença par la Lombardie, qui était un fief de
l'Empire et qu'il donna à Jean Galéas Visconti pour 150,000 écus d'or.
Il avait déjà perdu les villes, forts et châteaux de la Bavière, que Rupert,
l'électeur palatin, lui avait enlevés; si bien que, traduit au ban de
l'Empire, déclaré relaps, haï des siens, méprisé de tous, déposé le
lendemain de son nouveau mariage avec Sophie de Bavière, il se trouva,
en 1400, réduit à sa petite Bohême. Pour un prince juste, aimé de son
peuple, c'eût été pourtant une forteresse inexpugnable. La division et le
morcellement des plus grandes puissances spirituelles et temporelles
prouvait bien alors qu'il n'y avait plus de force que dans le sentiment
national de quelques races chevaleresques. Mais Wenceslas ne savait et
ne pouvait s'appuyer sur rien. En 1401, «revenu à son mauvais naturel,»
il fut pris par les grands et enfermé dans la tour noire du palais de
Prague. Transféré dans diverses forteresses, il alla passer un an en
captivité à Vienne, d'où il s'échappa encore dans un bateau. La Bohême
l'accueillit encore, parce que Sigismond désolait le pays avec une
armée de Hongrois. «Ils y firent des désordres inexprimables, tuant et
violant partout où ils passaient. Ils enlevaient, sur leurs selles, de jeunes
garçons et de jeunes filles, et les vendaient comme des chevreuils.
Sigismond ne se montra pas moins cruel que ses gens; ne pouvant venir
à bout de prendre un fort qu'il avait assiégé, il en tira sous de belles
promesses, le jeune Procope, marquis de Moravie, prince du sang, et le
fit attacher à une machine de guerre qui était devant la muraille, afin
que les assiégés fussent contraints de tuer leur maître à coups de
flèches.» Cet infortuné ayant survécu à ses blessures, Sigismond le fit
conduire à Brauna et l'y laissa mourir de faim.
Wenceslas n'eut qu'à se montrer aux intrépides Bohémiens pour que
Sigismond fût repoussé; mais plusieurs des principales places fortes de
la Bohême restèrent entre ses mains, et l'on peut dire que jusqu'à la
guerre des Hussites, cette nation gouvernée par un fantôme, et
surveillée par un ennemi intérieur, fit l'apprentissage du gouvernement
républicain qu'elle rêvait depuis longtemps et qu'elle allait essayer de
mettre en pratique. Pendant cette sorte d'interrègne, qui dura encore une
quinzaine d'années, si l'anarchie gagna les institutions et paralysa les
moyens de développement matériel, il se fit en revanche un grand
travail de recomposition dans les idées religieuses et sociales. L'esprit
réformateur, qui, sous divers noms et sous diverses formes, fermentait
en France, en Hollande, en Angleterre, en Italie et en Allemagne depuis
plusieurs siècles, commença à asseoir son siège en Bohême, et à
préparer ces grandes luttes que hâtaient l'établissement et l'exercice de
l'inquisition. Quelques souvenirs historiques sont indispensables ici
pour faire comprendre la courte mission de Jean Huss (de 1407 à 1415),
l'influence prodigieuse que dans l'espace de ces sept années il exerça
sur son pays, enfin le retentissement inouï de son martyre, que les
quatorze sanglantes années de la guerre hussite firent si cruellement
expier au parti catholique.
La race slave des Tchèques, que nous appelons à tort les Bohémiens[5],
avait conservé ces institutions sorties de son propre esprit, et n'avait
subi aucun joug étranger depuis le temps de sa reine Libussa,
jusqu'après celui de Wenceslas V, au commencement du quatorzième
siècle. La dynastie des Przemysl ducs de Bohême, avait donc duré six
siècles. Le premier des Przemysl, tige de cette race illustre, fut, dit-on,
un simple laboureur, que la reine Libussa tira de la charrue (comme
Rome en avait tiré Cincinnatus), pour en faire son époux et le chef de
son peuple. La légende naïve et touchante de l'antique Bohême rapporte
qu'elle lui fit conserver ses gros souliers de paysan, et qu'il les légua au
fils qui lui succédait, afin qu'il n'oubliât point sa rustique origine et les
devoirs qu'elle lui imposait[6]. Wladislas II fut le second de ses
descendants qui porta le titre de roi. Ce titre lui fut conféré par Frédéric
Barberousse. Mais il semble que ce fut pour cette race le signal de la
fatalité. L'esprit conquérant qui s'emparait des
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