circonstances de la vie de M. Hamon, faite par lui-même, selon le modèle des Confessions de saint Augustin_ (124 pages, imprimées en 1734). Il y parle surtout du séjour qu'il fit seul, comme médecin, auprès des religieuses de Port-Royal-des-Champs, en 1665, après l'expulsion des ?messieurs?. C'est très curieux. M. Hamon est humble, oui, il se rabaisse tant qu'il peut et conserve ses vêtements de pauvre qui le font moquer des gardes. Il dira:
J'aimais fort les sentences, ce qui est le caractère des moindres esprits.
Il dira:
J'étais plus lache qu'une femme, et qu'une femme des plus laches, car il y en a de courageuses.
Et c?tera. Mais on sent avec lui quel secret délice est l'humilité. Car, dans le chrétien qui se ravale lui-même, il y a deux ?moi?: le ?moi? qui est humilié, et le ?moi? qui humilie l'autre et le méprise et le maltraite; et ce second moi, juge implacable du premier, peut parfaitement go?ter un plaisir d'orgueil détourné et comme s'enivrer de son r?le d'ange flagellateur. Puis, l'humilité supprime presque toutes les causes de trouble:
J'éprouvais, dit M. Hamon, que, quand on se met sur son fumier, on est délivré de bien des tentations... Je résolus, dit-il encore, de ne plus juger personne.
Bient?t vient le détachement de la vie et l'amour de la mort:
Je regardais la mort avec assez de douceur. Je pensais fortement qu'il fallait me disposer à quitter les vivants, qui sont morts, afin d'aller trouver les morts, qui sont vivants.
Vient enfin la totale ?ataraxie?.
Il y a des temps où je crois que Dieu demande une chose de moi; il y en a d'autres où je ne le crois plus; quelquefois, je n'en sais rien. _Et tout cela m'est la même chose_, étant résolu de ne faire non plus d'état de mes prétendues assurances que de mon incertitude même.
Un autre point très intéressant. La communion était interdite aux religieuses du choeur, mais permise aux soeurs converses. On demande à Hamon si les religieuses du choeur peuvent sans péché mettre le manteau gris des converses pour se présenter à la Sainte Table et communier ainsi par fraude. Hamon pense qu'elles le peuvent. Pourquoi? C'est que, en rendant _possible_ aux religieuses, par cette ruse, la communion dont il leur commande et inspire le désir, Jésus-Christ signifie ainsi clairement qu'il la leur permet en effet, et cela, malgré l'autorité ecclésiastique. C'est une révélation qu'il fait à ses servantes, par-dessus la tête de leur archevêque. Il me semble que nous touchons le fond de l'ame de Port-Royal dans cette volonté de communiquer directement avec Dieu. Toute cette discussion de M. Hamon, à la fois très subtile et enflammée d'amour, est une des choses les plus singulières qu'on puisse lire.
Voilà les quatre professeurs de Racine. Celui qu'il semble avoir aimé et vénéré le plus est justement ce bizarre et délicieux bonhomme, M. Hamon. Quarante ans plus tard, il écrira dans son testament (10 octobre 1698):
Je désire qu'après ma mort, mon corps soit porté à?Port-Royal-des-Champs, qu'il soit inhumé dans le cimetière, au pied de la fosse de M. Hamon. Je supplie très humblement la mère abbesse et les religieuses de vouloir bien m'accorder cet honneur, quoique je m'en reconnaisse très indigne, etc.
Et maintenant, représentez-vous cet enfant tout seul au milieu de ces saints, d'ailleurs tous occupés de leurs dévotions et de leurs travaux. Je ne dis pas qu'il dut s'y ennuyer: mais l'absence d'enfants de son age, le silence de ce grand clo?tre dépeuplé et de cette vallée solitaire, tout cela était évidemment fort propre à le jeter dans la rêverie. Il dut rêver beaucoup, ces trois années-là, le long de l'étang, dans les jardins et dans les bois. Et sa sensibilité, repliée sur soi, secrète, sans confident, dut se faire par là plus profonde et plus délicate.
On conna?t l'anecdote racontée par Louis Racine dans ses _Mémoires_: anecdote que Louis tenait de son frère a?né Jean-Baptiste, lequel ne pouvait la tenir que de son père ou de quelqu'un de Port-Royal:
Son plus grand plaisir était de s'aller enfoncer dans les bois de l'abbaye avec Sophocle et Euripide qu'il savait presque par coeur. Il avait une mémoire surprenante. Il trouva par hasard le roman grec des amours de Théagène et de Chariclée. Il le dévorait, lorsque le sacristain Claude Lancelot, qui le surprit dans cette lecture, lui arracha le livre et le jeta au feu. Il trouva moyen d'en avoir un autre exemplaire, qui eut le même sort, ce qui l'engagea à en acheter un troisième, et, pour n'en plus craindre la proscription, il l'apprit par coeur et le porta au sacristain en lui disant: ?Vous pouvez br?ler encore celui-ci comme les autres.?
Comment Racine avait-il pu se procurer jusqu'à deux exemplaires du roman d'Héliodore,--texte grec, comme semble l'indiquer la phrase de Louis Racine? Sans doute par son cousin Antoine Vitart, qui était alors à Paris, au collège
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.