d'acolyte, de sacristain volontaire. Avant la dispersion des ?petites écoles?, il était le professeur des tout jeunes enfants.
Mais cet homme effacé avait l'ame la plus ardente. Pendant dix ans, il avait vécu d'un désir: celui de rencontrer M. de Saint-Cyran. Il avait le don des larmes. Et, quand il fut entré à Port-Royal, il eut aussi le don du rire,--d'un rire qui n'avait rien du tout de profane.
L'abondance des graces dont il plaisait à Dieu de me combler, écrit-il, et la paix dont il me remplissait étaient si grandes, que je ne pouvais presque m'empêcher de rire en toutes rencontres.
C'est le rire des jeunes filles très pures et des religieuses innocentes.
Cet humble passionné fut, par obéissance, un éminent grammairien. C'est lui qui écrivit les excellentes _Méthodes_ de Port-Royal, grecque, latine, italienne et espagnole; et c'est lui qui assembla les _Racines grecques_, versifiées ensuite par M. de Sacy (1657):
(Entre en ce jardin, non de fleurs?Qui n'ont que de vaines couleurs,?Mais de racines nourrissantes?Qui rendent les ames savantes...)
C'est à Lancelot, sacristain et helléniste, que Jean Racine dut de savoir le grec à fond, dans un temps où la plupart des lettrés ne savaient que le latin (aujourd'hui, ils ne savent ni l'un ni l'autre); et par suite, si Racine, tout imprégné des Grecs, choisit chez eux la moitié des sujets de ses tragédies profanes, et s'il écrivit _Andromaque_, _Iphigénie_ et _Phèdre_, c'est un peu au sacristain de Port-Royal que nous le devons.
Le troisième professeur de Jean Racine, Antoine Lema?tre, avait été un avocat célèbre et un ?homme du monde? assez dissipé (du moins parle-t-il lui-même de ses ?égarements?). Il s'était converti au lit de mort de sa mère, brusquement, avec explosion et larmes, et avait renoncé à la plus belle situation dans le siècle pour s'ensevelir à Port-Royal. Tandis que Nicole et Lancelot étaient des hommes ?gris?, Antoine Lema?tre était un homme brillant, un pénitent plein de verve et d'éclat, le chef des solitaires. Il avait de la véhémence, de la chaleur, de l'imagination et du geste. Il gardait, dans son renoncement, l'amour de la littérature. Du fond de sa solitude, il avait publié lui-même ses plaidoyers[3], monuments de sa gloire profane, en ayant seulement soin d'y rajouter des passages édifiants. Il avait traduit, en les expurgeant pour les élèves de Port-Royal, les comédies de Térence.
Antoine Lema?tre prit très fort en amitié Racine adolescent. Il voulait faire de lui un avocat. On conna?t la lettre charmante où il recommande au ?petit Racine? de bien soigner pendant son absence ses onze volumes de saint Chrysostome et de les défendre contre les rats, et où il l'appelle son fils et lui dit: ?Aimez toujours votre papa comme il vous aime.?
Il fut spécialement le professeur de rhétorique de Jean Racine. Ce fut s?rement lui qui communiqua à l'enfant la flamme littéraire. Et ce n'est pas tout: Antoine Lema?tre avait une belle voix et un débit savant. Il donna à Racine d'excellentes le?ons de diction,--que Racine répéta plus tard à mademoiselle du Parc et à mademoiselle Champmeslé.
Le quatrième professeur de Racine fut M. Hamon, médecin de Port-Royal. Et même, à partir de mars 1656, les autres solitaires dispersés, Racine n'eut plus d'autre professeur que M. Hamon.
M. Hamon para?t avoir été le plus singulier, le plus pittoresque des messieurs de Port-Royal et aussi le plus poète. Après avoir été précepteur de M. de Harlai,--dont il refusa un petit ?bénéfice?,--il vendit et distribua aux pauvres son patrimoine et entra à Port-Royal en 1650. Il fut le médecin des religieuses. Il s'en allait visiter les pauvres des environs, monté sur un ane et un livre à la main. C'était un mystique au coeur tendre et à l'imagination fleurie. Il lisait en espagnol les ouvrages de sainte Thérèse, ?de la grande sainte Thérèse qui fut tellement blessée de la charité de l'époux que son coeur fut transpercé d'un glaive de joie et de douleur?.
Ainsi s'exprime-t-il. Il écrivit des petits traités de piété pour les religieuses et quatre volumes de très subtils commentaires sur le _Cantique des cantiques_. ?Il avait, dit Sainte-Beuve, le don de la spiritualité morale, le sens des emblèmes,? et il marchait dans le monde ?comme dans une forêt enchantée, où chaque objet qu'on rencontre en recèle un autre plus vrai et cache une merveille?. Il pensait que l'univers visible n'est qu'un système de symboles et qu'il n'y a de vrai que ce qu'on ne voie pas. Il ne mangeait que du pain de chien (fait de son et d'un peu de farine). On lui en donnait un grand par semaine. Il mangeait toujours debout, dans un couloir, sans serviette et sur une planche. Sainte-Beuve dit qu'il y avait de l'oriental et du brahme dans M. Hamon. Cette impression me parait très juste. Je tiens de la munificence de M. Gazier un petit livre intitulé: _Relation de plusieurs
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.