fils... Si, lui
aussi, je le savais sain et sauf! Mais pas de nouvelles, depuis que je l'ai quitté... Et mes
parents étaient vieux, bien vieux... il doit avoir douze ans maintenant... Un mot... un mot
encore... Dieu, prêtez-moi la force pour finir! On le nomme Olivier... Olivier,
entendez-vous?... Veillez sur lui...et sur elle...Vous y veillerez, dites... C'est un mourant
qui vous bénit... Ils portent tous deux le même signe de reconnaissance... un...
--Un? répéta maître Jacques, vivement impressionné! et se penchant vers son
interlocuteur.
Mais le malheureux avait rendu l'âme.
Sur le soir de cette mémorable journée, le temps se radoucit. Du sud il s'éleva des brises
comparativement tièdes. Le lendemain matin, par une de ces brusques révolutions, si
communes sous les hautes latitudes, le thermomètre était remonté de plus de vingt degrés.
A midi, il marquait 1° au-dessus de zéro. Le ciel était gris, sombre. Il tombait une pluie
fine et pénétrante. De longues bandes de canards et autres palmipèdes sillonnaient les airs
en tous sens. Sur le navire volaient, en se croisant et poussant des cris aigus, des nuées de
noirs corbeaux et de vautours à tête chauve. Par intervalles, l'un de ces oiseaux voraces
fondait effrontément sur quelque détritus, rejeté du vaisseau et mis à découvert par le
dégel; il happait le morceau et se renlevait rapidement dans l'espace, en disputant sa proie
aux moins audacieux que lui.
Tout à coup, un bruit formidable comme le roulement d'une avalanche du haut des
sommets alpestres, ou plutôt comme un tremblement de terre tropical, se fait entendre.
L'atmosphère est ébranlée, la mer brise son pont de glace et bondit, mugissante, terrible,
blanche de courroux, autour de la goëlette, qui, déjà parée pour cet événement, se balance,
maintenant svelte, légère et coquette, avide de reprendre sa course sur l'onde écumeuse.
Si l'on voulait profiter de cette débâcle inespérée et ne pas s'exposer à être de nouveau
renfermé dans les banquises en mouvement, que le retour du froid ne tarderait pas à
agglomérer une seconde fois en un tout compacte, il fallait appareiller immédiatement.
Aussi, ce jour-là même, débarrassée de sa cabane surnuméraire, remâtée, regréée, en un
mot, la Catherine levait les ancres et partait gaiement pour Saint-Malo, trois mois au
moins avant l'époque où elle aurait pu, dans les conditions ordinaires de température,
compter raisonnablement briser les entraves dont l'hiver l'avait chargée.
--Min Gieu, ça ne fait rien, disait le vieux Morbihan, en berçant la petite Constance dans
ses bras, quand dame Catherine, notre patronne, verra quel amour de cargaison nous lui
rapportons là, elle ne nous en voudra plus de nous être attardés si longtemps en mer! da
non; n'est-ce pas maître?
--Oh! fit, sans l'entendre, Jacques soucieux, et tenant ses yeux attachés ver l'ouest, je ne
tarderai sûrement pas à revenir dans ces parages, et je profiterai des avis du pauvre
Guillaume Dubreuil.
FIN DU PROLOGUE
CHAPITRE PREMIER
SAINT-MALO, PATRIE DE JACQUES CARTIER.
Existe-t-il en France, ou même dans le monde entier, une ville qui, relativement à sa
population, puisse s'enorgueillir d'avoir enfanté autant de célébrités que Saint-Malo?
Quelle pépinière, quelle pléiade d'illustrations dans tous les genres! Ses seuls marins
fameux, on en pourrait compter cent, non compris les Jacques Cartier, les Porée, les
Duguay-Trouin, Mahé de la Bourdonnais, les Surcouf, les de Coisy, et, comme dit leur
excellent biographe, M. Ch. Cunat: «Tous donnèrent plus d'une fois sujet aux ennemis de
la France de leur appliquer ce mot de Philippe, roi d'Espagne, en parlant de Turenne:
Voilà un homme qui m'a fait passer de bien mauvaises nuits.»
Mais à ces beaux noms, consignés au premier rang dans les fastes de notre histoire
nationale, ne se borne pas la liste des grands hommes qui ont honoré Saint-Malo par leur
bravoure à toute épreuve ou leurs vastes talents. Des philanthropes, comme Jacques
Vincent, seigneur de Gournay, Alain Magon de la Gervesais, Pierre de la Haye; des
savants, comme Nicolas Trublet, le P. Alain de Large, le physicien Maupertuis, l'érudit
Joachim Porée, l'historien Nicolas Frottet, le médecin Broussais; des administrateurs
comme Pierre-Louis Boursaint, Féron de la Féronnays; des poètes comme
François-Marie Lescaut, Marie-Jeanne Bougourd (l'auteur de la Jeune Mère), Michel de
la Morvonnais et l'immortel Chateaubriand; des philosophes comme Offroy de Lamettrie
et Robert de Lamennais, vingt autres enfin, renommés dans les sciences, les arts et les
lettres, viennent encore enrichir le catalogue des glorieuses, personnalités auxquelles la
cité malouine servit de berceau.
Que rapporter des actions d'éclat dont elle fut le théâtre? qui les pourrait citer toutes?
«Cet îlot de Saint-Malo, dit en son noble langage Jules Janin, cet îlot de Saint-Malo, fils
de l'Océan, est un véritable navire à l'ancre, bercé par les tempêtes; les arbres ressemblent
à des mâts qui attendent la vague lointaine. L'air, le ciel, le nuage, le bruit, la nuit, le jour,
tout rappelle,
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