quittée pour venir pécher la molue?
N'êtes-vous pas assez riche?
--Tu aurais donc renoncé à la mer, hein! si j'étais resté à Saint-Malo, toi qui m'as élevé et
enseigné l'art de piloter un navire?
--Min Gieu! maître, ç'aurait été dur d'abandonner le métier où je suis né; mais,
voyez-vous, pour demeurer avec vous et la patronne, qu'est-ce que je ne ferais pas?... Da
oui!
--Tu es un brave, Jean, donne-moi la main, dit le jeune homme, qui pressa
chaleureusement dans les siens les doigts calleux du matelot..
Puis il ajouta:
--Allons, de la patience! dans trois mois, nous reprendrons la route de Saint-Malo. Au
surplus, je n'aurai pas perdu mon temps, ici. J'ai exploré la côte septentrionale de cette
terre à peu près inconnue, et découvert plusieurs îles qui pourront être un jour
très-productives... Bien! Que le roi de France, mon maître, m'accorde l'autorisation de
reconnaître tout le pays, et, sous peu, nous n'aurons plus rien à envier à la gloire de ce
Génois, ce Colomb dont le nom m'importune autant qu'il m'enivre!
--Ah! min Gieu! vous avez encore des projets de voyage! vous voulez encore délaisser...
--Catherine!... j'aurais tort! n'est-ce pas? Oublions mes présomptueux desseins... Cette
expédition sera ma dernière... Pourtant je touche à peine à ma vingt-septième année!
--Da oui, vous êtes venu au monde le jour de la Saint-Sylvestre, le 31 décembre 1494; je
m'en souviens comme d'hier, et que votre père, maître Jamet...
--Bah! laissons cela, mon vieil ami... Je t'ai mandé pour que tu ailles, avec quelques
hommes de corvée, faire du bois et battre les environs... Je crains que ces sauvages, qui
ont enlevé deux des nôtres, ne renouvellent leurs agressions...
--C'est entendu maître. Je partirai tout de suite.
--Surtout armez-vous bien, car ces bandits sont vigoureux et très-adroits. De la prudence,
Jean, de la prudence. Si nous perdions encore quelqu'un, la panique se glisserait dans
l'équipage... Tu me comprends?
--Vous pouvez être tranquille, capitaine, vos recommandations seront suivies, comme si
elles venaient du bon Gieu, répondit le matelot en sortant de la cabine.
Il communiqua les ordres qu'il avait reçus, et aussitôt dix de ses compagnons s'offrirent à
l'envi pour les exécuter.
S'étant armés de longues piques à glace, d'arquebuses et de haches d'abordage, nos
hommes montèrent par l'échelle de la construction en planches qui recouvrait le pont du
navire, et qu'on avait élevée autant pour abriter l'intérieur contre les rigueurs du climat
que pour renfermer des approvisionnements.
Chef de timonerie à bord de la Catherine, Jean Morbihan occupait le premier rang, après
maître Jacques. Il distribua un verre d'eau-de-vie et quelques vivres à ses hommes; puis
tous quittèrent le vaisseau pour commencer leur expédition.
En dépit du froid, ils s'étaient mis gaiement en route, quand le premier qui parvint au faîte
du môle de glace dont le bâtiment était fortifié, poussa un cri d'émoi.
--Qu'y a-t-il? interrogea Jean Morbihan, pressant le pas.
Pour toute réponse, l'autre étendit son bras vers le sud.
Dans cette direction, on distinguait, à plusieurs milles de distance, une horde d'individus
qui couraient vers le navire.
--Ce sont les sauvages! lit Jean, en portant un sifflet à ses lèvres.
A son appel, les matelots restés dans le vaisseau arrivèrent précipitamment. Maître
Jacques les suivit de près.
--Regardez! lui dit Morbihan.
Le capitaine avait la vue excellente. Il distinguait les objets A des distances prodigieuses.
Ayant porté ses yeux à l'horizon, il s'écria:
--Par ma Catherine! ce sont les sauvages! Les coquins sont nombreux et s'avancent de
notre coté. Mais voici qui est étrange, bien étrange! On dirait qu'ils pourchassent l'un des
leurs qui les précède d'une, centaine de pas, autant que je puis juger... Oui, c'est cela... Le
poursuivi file à toutes jambes... Il porte quelque chose dans ses bras... Les autres lui
décochent des flèches. Ah! le malheureux trébuche; il tombe... Ses persécuteurs vont
l'atteindre... Non; le voici qui se relève... Bravo! courage! volons à son aide!...
En prononçant ces mots, maître, Jacques se jetait en bas du monticule et s'élançait,
accompagné de ses matelots, au secours du misérable, dont il venait, en quelques mots,
de peindre la périlleuse situation.
Bientôt, on le put voir parfaitement, et l'on put entendre les infernales vociférations de
ceux qui lui donnaient la chasse.
--Arrêtons-nous et préparez vos arquebuses, ordonna maître Jacques. Mais visez juste et
de façon à ne pas toucher ce pauvre hère.
Quoique les sauvages fussent encore éloignés de plus d'un mille, cinq minutes après, ils
arrivèrent à portée des armes à feu.
Une décharge fut commandée et exécutée à l'instant.
Au bruit de cette arquebusade, les Peaux-Rouges épouvantés, se débandèrent et prirent la
fuite, en laissant plusieurs morts et mourants sur le théâtre de l'action.
Parmi ces derniers, mais en avant d'eux, était tombé l'individu dont la cruelle position
avait si fort soulevé l'intérêt de maître Jacques.
Instinctivement, poussé
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.