J.-K. Huysmans et le satanisme | Page 7

Joanny Bricaud
plus difficile; au milieu de toutes ces luttes, il avait une
maladie de foie et de coeur. Il me disait: «Je vais mourir. Adieu.» Je lui
répondais: «Mais, mon Père, vous n'allez pas mourir; et votre livre que
vous avez à faire? Il faut bien que vous le fassiez[8]!» Il était content
que je lui dise cela... il m'a demandé de L'EAU DU SALUT. Après avoir
bu une gorgée, il nous disait: «C'est cela qui me sauve.» Je ne
m'effrayais pas trop: nous l'avions vu tant de fois aux portes de la mort
et se remettre quelques heures après! Je croyais que ce ne serait que
passager. Il nous a parlé jusqu'au moment de la dernière crise... Je lui
dis: «Père, comment vous trouvez-vous?» Il me jeta son dernier regard
d'adieu. Il n'a plus pu nous parler. Il est entré en une agonie qui a duré à
peine deux minutes... Il est mort en saint et en martyr; toute sa vie n'a
été qu'épreuves et souffrances depuis seize ans et plus que je le
connais............................................................... j'appréhendais un triste
dénouement avec toutes ces luttes qu'il avait soutenues pour lui et pour
d'autres. Je suis étonnée qu'il soit venu jusqu'ici. Je crois qu'il avait
rempli sa tâche. Sa mort m'avait été montrée depuis plus de six ans, et,
au moment où j'allais prendre le train à Saint-Maximin pour partir aux
Saintes-Maries, un oiseau est venu me jeter plusieurs cris. Il n'était pas
jour. Il était six heures du matin. J'ai dit tout haut devant quelques

personnes: «Ah! mon Dieu! une mort que cet oiseau m'annonce.» Et j'ai
senti que c'était le pauvre Père. Je repoussais cette inspiration; je ne
m'attendais pas qu'elle allait arriver cinq jours après ma rentrée à
Lyon..................... ...................................................................... .............
........................................................._
[Note 8: L'abbé Boullan s'apprêtait, paraît-il, à publier le Zohar en
français.]
La mort mystérieuse de l'abbé Boullan fut l'occasion d'une vive
polémique entre écrivains occultistes: Huysmans et Jules Bois d'une
part, et Stanislas de Guaita de l'autre. Nous avons dit plus haut que
Huysmans attribuait nettement cette mort aux pratiques magiques de
Stanislas de Guaita. Jules Bois, de son côté, accusa formellement de
Guaita et ses collègues de la Rose-Croix d'avoir envoûté l'abbé
Boullan.
Tous les honnêtes gens ont été de mon côté quand j'ai dévoilé les
agissements sataniques des Rose-Croix de Paris, disait Huysmans.
Jules Bois écrivait dans le Gil Blas:
«... Je crois de mon devoir de relater les faits: l'étrange pressentiment
de Boullan, les visions prophétiques de Mme Thibault et de M. Misme,
ces attaques, paraît-il, indiscutables, des Rose-Croix Wirth, Péladan,
Guaita, contre cet homme qui est mort.
On m'a assuré que M. le marquis de Guaita vit seul et sauvage; qu'il
manie les poisons avec une grande science et la plus merveilleuse
sûreté; qu'il les volatilise et les dirige dans l'espace; qu'il a même--M.
Paul Adam, M. Dubus, M. Gary de Lacroze l'ont vu--un esprit familier
enfermé chez lui dans un placard et qui en sort visible sur son ordre...
«Ce que je demande sans incriminer qui que ce soit, c'est qu'on
éclaircisse les causes de cette mort. Le foie et le coeur par où Boullan
fut frappé, voilà les points que les forces astrales pénètrent.
«Maintenant que des illustres savants tels que MM. Charcot, Luys et

particulièrement de Rochas reconnaissent la puissance des
envoûtements, dussé-je--moi qui suis un adepte de la magie--braver les
fureurs homicides, je veux de nettes explications; je les veux comme
doivent les vouloir MM. Péladan, de Guaita et Wirth, afin que leur
conscience soit légère[9]!»
[Note 9: Gil Blas, du 9 janvier 1893.]
Le lendemain de la publication par Jules Bois, dans le Gil Blas, des
accusations que l'on vient de lire, Huysmans les confirmait par
l'intermédiaire de M. Blanchon, du Figaro, auquel il disait au cours
d'une interview: «Il est indiscutable que de Guaita et Péladan pratiquent
quotidiennement la magie noire. Ce pauvre Boullan était en lutte
perpétuelle avec les esprits méchants qu'ils n'ont cessé, pendant deux
ans, de lui envoyer de Paris. Rien n'est plus imprécis que ces questions
de magie; mais il est tout à fait possible que mon pauvre ami Boullan
ait succombé à un envoûtement suprême.»
Le 11 Janvier, Jules Bois revint à la charge dans le Gil Blas.
«Je tiens à affirmer, écrivait-il, que je ne suis pas l'ennemi de M. de
Guaita; et je ne reçois pas non plus de mot d'ordre. Je n'ai eu avec le
mage de l'avenue Trudaine, jusqu'ici, que les plus courtois rapports;
mais devant les présomptions importantes qui m'ont été fournies, j'ai
cru de mon devoir, et tout honnête homme l'aurait fait à ma place,
d'affirmer que M. de Guaita avait maintes fois, depuis plusieurs années,
menacé le docteur Boullan qui vient de mourir de cette mort si
mystérieuse et si subite, et qu'il y avait, dans l'esprit de
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