J.-K. Huysmans et le satanisme | Page 3

Joanny Bricaud
Christ glorieux et du divin
Paraclet[5]»?
[Note 5: Là-Bas, page 395.]
Un procès en escroquerie, jugé en 1865 devant la Chambre des appels
correctionnels de Paris, va nous faire connaître de curieux détails sur
notre abbé et sur les étranges doctrines qu'il professait.
Prêtre du diocèse de Versailles, docteur en théologie, ancien supérieur
d'une communauté de Strasbourg, auteur de plusieurs ouvrages
canoniques, traducteur de la Vie de la Sainte Vierge de la célèbre
visionnaire Catherine Emmerich, fondateur du Rosier de Marie--dont
fut accusé, un jour, M. Naquet d'avoir été l'assidu collaborateur--l'abbé
Boullan était un cerveau inquiet et assoiffé d'absolu. Jeune encore, il
avait eut, en 1856, à s'occuper d'une religieuse de Saint-Thomas de
Villeneuve, à Soissons, la soeur Adèle Chevalier. Cette religieuse
racontait qu'abandonnée par tous les médecins, elle avait été guérie
miraculeusement d'une cécité et d'une congestion pulmonaire, par
l'intercession de Notre-Dame de la Salette. C'était au mois de janvier
1854 que le miracle s'était produit: elle était alors soeur postulante chez
les religieuses de Saint-Thomas de Villeneuve.
La nouvelle s'en était rapidement répandue dans tout le diocèse et
l'évêque de Soissons avait délégué son vicaire général pour procéder à
une enquête. Les conclusions du rapport rédigé par cet ecclésiastique
étaient nettes et précises: «Après avoir mûrement réfléchi sur les
circonstances dans lesquelles Adèle Chevalier a obtenu le

recouvrement de la vue et la guérison pulmonaire qui s'était présentée
avec des caractères de gravité si alarmants, _je n'hésite pas à croire à
une intervention surnaturelle_ de la mère de Dieu.»
A partir de cette époque, la soeur Chevalier affirma qu'elle ne cessait
d'être inspirée de la grâce divine, qu'elle était en communication avec la
Vierge, dont elle recevait fréquemment des révélations par une voix
mystérieuse.
En 1856, la supérieure de la Communauté des dames de Saint-Thomas
l'envoya à Notre-Dame de la Salette, où l'appelaient, disait-elle, des
voix surnaturelles.
Les Pères de la Salette examinèrent son état et en furent si frappés
qu'ils demandèrent à l'évêque de Grenoble l'autorisation de la confier à
la direction de l'abbé Boullan dont la science théologique et mystique
leur était, disaient-ils, bien connue.
L'abbé Boullan eut foi, dès les premiers jours, dans l'état surnaturel de
sa pénitente. Il conclut au miracle, et il fut décidé, qu'il se rendrait à
Rome pour présenter ledit miracle à l'examen du Pape et du Sacré
Collège.
Mais cette mission ne fut pas la seule qu'il alla accomplir à Rome.
Vers la même époque, il avait eu à s'occuper de la direction d'une
demoiselle Marie Roche, qui lui avait été confiée par l'évêque de Rodez:
elle aussi prétendait avoir une mission divine et recevoir du ciel des
inspirations prophétiques. Des événements de la plus haute gravité lui
avaient été annoncés qui devaient frapper d'étonnement toute l'Europe.
Une partie de ces prophéties s'appliquait au Pape qui devait mourir de
mort violente; une autre à l'empereur des Français qui, s'il
n'accomplissait pas les ordres que Marie Roche était chargée de lui
révéler, devait périr de la main de ses officiers, pour faire place à Henri
V. Cette Marie Roche fut conduite à Rome par l'abbé Boullan,
présentée au Sacré Collège, admise même à expliquer sa mission
devant le Pape.

De retour de Rome, après deux années, l'abbé Boullan retrouva Adèle
Chevalier et reprit sa direction. Prétendant avoir reçu de la Vierge une
révélation dans laquelle elle lui ordonnait de fonder une oeuvre
religieuse qui s'appellerait: Oeuvre de la réparation des âmes, et en
avoir écrit les règles sous une dictée divine, la soeur Chevalier
s'occupait d'organiser cette oeuvre.
D'accord avec son directeur, elle l'installa à Bellevue, dans le
département de Seine-et-Oise, avec l'approbation de plusieurs prélats
hauts placés.
Bientôt, on signala dans l'intérieur de la communauté des pratiques
bizarres. L'abbé Boullan y guérissait, par des procédés étranges, des
maladies diaboliques, dont auraient été atteintes les religieuses: une des
soeurs étant tourmentée par le Démon, l'abbé, pour l'exorciser, lui
crachait dans la bouche; à une autre, il faisait boire de son urine
mélangée à celle de la soeur Chevalier; à une troisième il ordonnait des
cataplasmes de matière fécale.
De plus, des ecclésiastiques écrivaient à l'abbé Boullan et à la soeur
Chevalier pour leur demander--moyennant finances--comment ils
pourraient se concilier la faveur de la Sainte Vierge; des femmes du
monde, enfin, les consultaient sur des cas de conscience incroyables.
Il y eut bientôt, auprès de l'évêque de Versailles, des plaintes
nombreuses. Une instruction fut ouverte contre l'abbé Boullan et la
soeur Chevalier, accusés d'escroquerie et d'outrage public à la pudeur.
Sur ce dernier chef, le Tribunal correctionnel de Versailles rendit une
ordonnance de non-lieu, et les condamna seulement pour escroquerie à
trois ans de prison.
Rendu à la liberté, l'abbé Boullan continua ses pratiques d'exorcisme.
Mandé à l'archevêché de Paris, où on le sommait de s'expliquer sur le
cas d'une épileptique qu'il disait avoir
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