J.-K. Huysmans et le satanisme | Page 2

Joanny Bricaud
demandait à l'abbé Boullan des renseignements.
Par retour du courrier ce dernier lui répondit que son concours lui était
assuré.
La correspondance entre Huysmans et l'abbé Boullan est volumineuse;
elle date du 6 février 1890 au 4 janvier 1893, date de la mort

mystérieuse de ce dernier. Mais n'anticipons pas.
Là-Bas parut en 1890. C'était une défense en règle du surnaturel, basée
sur deux ordres de faits:
1º Une série de faits purement historiques, se rapportant à l'histoire de
Gilles de Rais et à la sorcellerie du moyen âge;
2º Une série de faits relatifs au Satanisme moderne.
Les Spirites, les Occultistes, les Rose-Croix satanisent plus ou moins,
affirmait Huysmans: «A force d'évoquer des larves, les occultistes qui
ne peuvent, bien entendu, attirer les Anges, finissent par amener les
Esprits du Mal; et, qu'ils le veuillent ou non, sans même le savoir, ils se
meuvent dans le diabolisme[2].» En tout cas, ajoutait-il, si le Diable n'y
est pas toujours, il en est bien près!
[Note 2: Cf. Là-Bas, page 427.]
La Messe de Satan, la Messe Noire se célèbre de nos jours, disait-il
encore, et il en faisait une truculente description. Un chanoine, Docre,
la célébrait. Dans son ardeur sacrilège, ce monstrueux sacerdote s'était
fait tatouer, sous la plante des pieds, l'image de la croix, de façon à
toujours marcher sur le Sauveur! Il entretenait, dans des cages, des
souris blanches, nourries d'hosties consacrées et de poisons dosés avec
science, dont le sang servait aux pratiques de l'envoûtement. L'incubat
et le succubat étaient fréquents dans les cloîtres. L'armée de Satan se
recrutait surtout dans le sacerdoce; «Il n'y a pas, sans prêtre sacrilège,
de Satanisme mûr», disait Huysmans. Le chanoine Docre était disait-on,
un prêtre des environs de Gand.
La vérité est que si Huysmans assista à la messe noire, le récit qu'il en a
fait n'est nullement une relation de choses vues. Certains détails sont
empruntés à des documents anciens tirés des Archives de Vintras.
Mais la messe noire se disait. Malheureusement pour les curieux, cette
messe maudite avait pour temples des locaux hermétiquement fermés,
et, pour fidèles, des gens liés par un secret absolument inviolable.

Quant au chanoine Docre, il était fait avec diverses personnalités et
notamment deux ecclésiastiques que Huysmans avait beaucoup connus.
L'un fut, ainsi qu'il l'a écrit dans Là-Bas, chapelain d'une reine en exil;
il s'est pendu il y a quelques années. L'autre, qui habitait en Belgique, à
Bruges, était un prêtre encore exerçant, dans ce bijou gothique qu'est la
chapelle du Saint-Sang, où l'on montre aux fidèles, tous les vendredis,
le sang de Jésus-Christ qui aurait été rapporté des Croisades par un
comte de Flandre.
Tout en gardant la physionomie très exacte du chapelain qui se suicida,
il assembla en un seul et même personnage les détails absolument
certains qu'il possédait sur l'un et l'autre de ces deux prêtres. Il y ajouta
plusieurs traits relatés dans des rapports déjà classés, comme la
fameuse affaire de la voyante diabolique, Cantianille[3], où il prit le
détail de la croix tatouée sous la plante des pieds pour la mieux fouler.
[Note 3: Mme Cantianille B....., du diocèse de Sens, morte il y a
quelques années seulement, fut, dès l'âge de deux ans, pourrie de larves.
La maladie psychique atteignit son paroxysme à quinze ans, où elle fut
placée dans un couvent de Mont-Saint-Sulpice, et violée par un jeune
prêtre, qui la voua au diable.
Renvoyée du couvent, elle fut exorcisée par un certain abbé Thorey,
d'Auxerre, dont la cervelle ne paraît pas avoir bien résisté à ces
pratiques. Ce fut bientôt, à Auxerre, de telles scènes scandaleuses, que
Cantianille fut chassée du pays et l'abbé Thorey frappé
disciplinairement par son évêque. Le malheureux prêtre écrivit deux
volumes sur sa pénitente, et l'affaire alla à Rome. Quant à Cantianille,
elle garda jusqu'à la fin de sa vie le funèbre don de propager sa maladie
psychique.]
En opposition au chanoine Docre, Huysmans révélait un certain docteur
Johannès, qui n'était autre que l'abbé Boullan.
A la question: Quel est ce docteur? Huysmans fait répondre par un des
personnages de son livre: «C'est un très intelligent et très savant prêtre.
Il a été supérieur de communauté et a dirigé, à Paris même, la seule
revue qui ait jamais été mystique. Il fut aussi un théologien consulté, un

maître reconnu de la jurisprudence divine; puis il eut de navrants débats
avec la Curie du Pape, à Rome, et avec le Cardinal Archevêque de Paris.
Ses exorcismes, ses luttes contre les incubes qu'il allait combattre dans
les couvents de femmes, le perdirent[4].»
[Note 4: Cf. Là-Bas, page 283.]
Quel était donc en vérité cet abbé Boullan, à qui Huysmans s'était
adressé pour la documentation de son livre, et qu'il affirmait
«missionné par le Ciel pour briser les manigances infectieuses du
Satanisme, pour prêcher la venue du
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