partition. C'est une large et héro?que mélodie. Cela se déroule avec une simplicité majestueuse, une paisible force qui ne cherche point à étonner, une magnificence toujours égale. La plus profonde émotion est contenue dans ce chant sublime; on sent que la bouche parle de l'abondance du coeur; et, par moments, l'ame laisse déborder son enthousiasme. Personne ne devrait être insensible à une telle inspiration. Mais les uns se nourrissent de si plates vulgarités que tout ce qui est noble les ennuie; d'autres ne pensent pas qu'il y ait une émotion possible hors de ce qui leur enfièvre le sang, leur tord les nerfs et leur triture le coeur. Ils sont comme ceux qui souffrent des dents et qui ne se sentent soulagés que s'ils exaspèrent leur mal. La musique d'aujourd'hui agit sur ces ames troublées avec d'autant plus de force qu'elle est plus cruellement physique. Cette musique-là cherche l'ame, mais elle prend surtout la chair. Elle a bien son humanité, et je ne veux pas lui jeter l'anathème; mais je souhaite que ceux qu'elle étreint puissent parfois s'en dégager et qu'ils respirent l'air vivifiant de ces Alpes, Bach et H?ndel.
Il y a peu à remarquer dans la mélodie en mi majeur, simplement accompagnée par les cordes. Il faut l'entendre. C'est la suavité dans la force. Je ne puis concevoir une plus profonde interprétation, ou mieux une plus radieuse transfiguration de ce texte: ?Tu les planteras sur la montagne de ta propriété, à la place, ? éternel! que tu as choisie pour ta demeure...? Et quelle puissante émotion lorsque s'élève du fond de l'ame le chant qui accompagne ces paroles: ?Dans le sanctuaire, Seigneur, que tes mains ont fondé!? Il y a là une courte phrase que je retrouverais sans peine, avec de légers changements, dans les magnifiques adieux de Brünhilde à Siegfried: elle est d'un élan sublime. Il serait puéril d'insister sur ce rapprochement. Le génie est toujours le génie, qu'il se nomme H?ndel ou Wagner; et il y a des moments où sur les ames les plus dissemblables passe un même souffle d'irrésistible inspiration.
Je ne détaillerai pas les mérites de mademoiselle Spies. Je ne pensai, en l'écoutant, qu'à la beauté de ce qu'elle chantait; l'identité me parut absolue entre la pensée du ma?tre et l'interprétation de l'artiste. Le soir de l'exécution solennelle, les ténors qui devaient entonner le choeur final, aussit?t après l'air dont je viens de parler, manquèrent leur attaque: ils avaient trop bien écouté, et ils étaient ravis d'admiration. Pour qui a une seule fois entendu le choeur du Gesangverein, si puissamment dirigé par M. Volkland, rien autre ne saurait rendre compte de cette unique défaillance, qui fut aussit?t réparée. étant donnée la haute perfection avec laquelle on exécute à Bale les chefs-d'oeuvre de la musique, il est heureux qu'un tel accident ait pu se produire.
Ne pensez-vous pas, cher Baille, que, malgré l'humeur de sanglier que l'on attribue à H?ndel (cet homme digne à tous égards de notre plus ardente sympathie, comme de toute notre vénération), il ne se f?t pas courroucé à ce propos, et que sa vaste perruque poudrée e?t conservé le petit balancement qu'elle avait lorsque tout marchait bien? J'imagine aussi qu'il e?t embrassé de bon coeur mademoiselle Spies. Ce n'est pas elle, à coup s?r, qu'il e?t brandie par la fenêtre en mena?ant de la précipiter, comme cette récalcitrante pécore à qui il criait furieusement: ?Oh! madame, je sais que vous êtes une diablesse; mais moi je suis Béelzébub, prince de tous les diables!? D'ailleurs la puissante carrure de mademoiselle Spies e?t rendu, de toute manière, un pareil procédé assez difficile, malgré la force colossale de l'Hercule qui a dompté tant de monstres et accompli de si magnifiques travaux.
II
Lorsque nous entrames, le soir de la répétition générale, dans la vieille église baloise, c'est bien le Paradis que nous aper??mes au fond de la cathédrale enguirlandée de lumières. Du moins les tableaux des ma?tres primitifs et ma propre imaginative ne me permettent pas de concevoir le Ciel autrement. Au pied de l'orgue radieux, pareil à une colossale fl?te de Pan, on avait groupé les musiciens de l'orchestre, puis la foule des choristes, face au public; et toutes ces bouches, qui allaient être si éloquentes, étaient tournées vers nous comme de vivantes trompettes. En bas de l'estrade nous devinames, caché par une vaste lyre de feuillage, le chef d'orchestre dont l'archet seul devait nous appara?tre, rayonnant dans toutes les directions, serein ou frénétique, vibrant parfois comme un trille et décrivant, pour battre de lentes mesures carrées, une immense auréole autour du pupitre invisible. Nous, royalement assis au coeur de l'église dans des chaires sculptées, nous regardions onduler ces profondes masses chorales, à coup s?r composées de Tr?nes, Principautés, Vertus et Dominations, d'où la parole divine allait jaillir avec une irrésistible puissance.
Les soli entendus le matin,
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