--Vrai, d'honneur! Madame était rentrée pour recevoir une visite. Elle
n'avait pas fait attention que le chien tenait quelque chose dans sa
gueule. Moi, en jouant avec lui, j'ai vu qu'il était en colère de ce qu'on
ne lui faisait pas de compliment; car lorsqu'il rapporte quelque chose, il
n'aime pas qu'on refuse de le prendre, il commençait donc à ronger le
bois et à déchirer le papier. Alors je le lui ai ôté; j'ai vu ce que c'était, et
je l'ai porté à madame aussitôt qu'elle a été seule. Elle ne voulait pas le
prendre.
--Mets cela au feu, qu'elle disait, c'est quelque sottise.
--Non, non, Madame, _c'est des_ malheureux.
--Tu l'as donc lu?
--Dame, Madame, que j'ai fait, Fly l'avait décacheté, et ça traînait.
--Tu as bien fait, petit, qu'elle m'a dit après qu'elle a eu regardé votre
lettre, et pour te récompenser, c'est toi que je charge d'aller aux
informations. Si l'histoire est vraie, c'est toi qui porteras ma réponse et
qui expliqueras mes intentions; et puis, attends, qu'elle m'a dit encore:
Tu diras à ce M. Jacques Laurent que je le remercie de sa lettre, mais
qu'il aurait bien pu l'envoyer plus raisonnablement que par sa fenêtre.
Là-dessus, j'ai expliqué au jockey l'inutilité de ma démarche d'hier et
l'urgence de la position. Il m'a promis d'en rendre compte.
J'ai bien vite porté un raisonnable secours au vieillard. En apprenant la
générosité de sa bienfaitrice, il a été touché jusqu'aux larmes.
--Est-ce possible, s'est-il écrié, qu'une âme si tendre et si délicate soit
calomniée par de vils serviteurs!
--Comment cela?
--Il n'y a pas d'infamies que cette ignoble portière n'ait voulu me débiter
sur son compte; mais je ne veux pas même les répéter. Je ne pourrais
d'ailleurs plus m'en souvenir.
CAHIER N° 1,--TRAVAIL.
La bonté des femmes est immense. D'où vient donc que la bonté n'a pas
de droits à l'action sociale en législation et en politique?
CAHIER N° 2.--JOURNAL.
1er janvier.
--Il est étrange que je ne puisse plus travailler. Je suis tout ému depuis
quelques jours, et je rêve au lieu de méditer. Je croyais qu'un temps
plus doux, un ciel plus clair me rendraient plus laborieux et plus lucide.
Je ne suis plus abattu comme je l'étais: au contraire, je me sens un peu
agité; mais la plume me tombe des mains quand je veux généraliser les
émotions de mon coeur. 0 puissance de la douceur et de la bonté, que tu
et pénétrante! Oui, c'est toi, et non l'intelligence, qui devrais gouverner
le monde!
Je ne m'étais jamais aperçu combien ce jardin, qui est sous ma fenêtre,
est joli. Un jardin clos de grands murs et flétri par l'hiver ne me
paraissait susceptible d'aucun charme, lorsqu'au milieu de l'automne j'ai
quitté les vastes horizons bleus de la végétation empourprée de ma
vallée. Cependant il y a de la poésie dans ces retraites bocagères que le
riche sait créer au sein du tumulte des villes, je le reconnais aujourd'hui.
Les plantes ici ont un aspect et des caractères propres au terrain chaud
et à l'air rare où elles végètent, comme les enfants des riches élevés
dans cette atmosphère lourde avec une nourriture substantielle, ont
aussi une physionomie qui leur est particulière. J'ai été déjà frappé de
ce rapport. Les arbres des jardins de Paris acquièrent vite un
développement extrême. Ils poussent en hauteur, ils ont beaucoup de
feuillage, mais la tige est parfois d'une ténuité effrayante. Leur santé est
plus apparente que réelle. Un coup de vent d'est les dessèche au milieu
de leur splendeur, et, en tous cas, ils arrivent vite à la décrépitude. Il en
est de même des hommes nourris et enfermés dans cette vaste cité. Je
ne parle pas de ceux dont la misère étouffe le développement. Hélas!
c'est le grand nombre; mais ceux-là n'ont de commun avec les plantes
que la souffrance de la captivité. Les soins leur manquent, et ils arrivent
rarement à cette trompeuse beauté qui est chez l'enfant du riche, comme
dans la plante de son jardin, le résultat d'une culture exagérée et d'une
éclosion forcée. Ces enfants-là sont généralement beaux, leur pâleur est
intelligente, leur langueur gracieuse. Ils sont, à dix ans, plus grands et
plus hardis que nos paysans ne le sont à quinze; mais ils sont plus
grêles, plus sujets aux maladies inflammatoires, et la vieillesse se fait
vite pour eux comme la nuit sur les dômes élevés et sur les cimes
altières des beaux arbres de cette Babylone.
Il y a donc ici partout, et dans les jardins particulièrement, une
apparence de vie qui étonne et dont l'excès effraie l'imagination. Nulle
part au monda il n'y a, je crois, de plus belles fleurs. Les terrains sont si
bien engraissés et abrités par tant de murailles, l'air est chargé de tant
de
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