trouvait en possession des
manuscrits du XVIIme siècle qui pouvaient intéresser ma thèse ... Il
marchait à petits pas pressés, ou, plus exactement, il trottinait auprès de
moi; je remarquai qu'il portait son pantalon si bas que la fourche en
restait à mi-cuisse; sur le devant du pied, l'étoffe retombait en
nombreux plis, mais par derrière restait au-dessus de la chaussure,
suspendue à l'aide de je ne sais quel artifice; je ne l'écoutais plus que
d'une oreille distraite, l'esprit engourdi par la moitiédeur de l'air et par
une sorte de torpeur végétale. En suivant une allée de très hauts
marronniers qui formaient voûte au-dessus de nos têtes, nous étions
parvenus presque à l'extrémité du parc. Là, protégé contre le soleil par
un buisson d'arbres-à-plumes, se trouvait un banc où Monsieur Floche
m'invita à m'asseoir. Puis tout-à-coup:
--L'abbé Santal vous a-t-il dit que mon beau-frère est un peu ...? Il
n'acheva pas, mais se toucha le front de l'index.
Je fus trop interloqué pour pouvoir trouver rien à répondre. Il continua:
--Oui, le baron de Saint-Auréol, mon beau-frère; l'abbé ne vous l'a
peut-être pas dit plus qu'à moi ... mais je sais néanmoins qu'il le pense;
et je le pense aussi ... Et de moi, l'abbé ne vous a pas dit que j'étais un
peu ...?
--Oh! Monsieur Floche, comment pouvez-vous croire?...
--Mais, mon jeune ami, dit-il en me tapant familièrement sur la main, je
trouverais cela tout naturel. Que voulez-vous? nous avons pris ici des
habitudes, à nous enfermer loin du monde, un peu ... en dehors de la
circulation. Rien n'apporte ici de ... diversion; comment dirais-je? oui.
Vous êtes bien aimable d'être venu nous voir--et comme j'essayais un
geste:--je le répète: bien aimable, et je le récrirai ce soir à mon
excellent ami Desnos; mais vous vous aviseriez de me raconter ce qui
vous tient au coeur, les questions qui vous troublent, les problèmes qui
vous intéressent ... je suis sûr que je ne vous comprendrais pas.
Que pouvais-je répondre? Du bout de ma canne je grattais le sable ...
--Voyez-vous, reprit-il, ici nous avons un peu perdu le contact. Mais
non, mais non! ne protestez donc pas; c'est inutile. Le baron est sourd
comme une calebasse; mais il est si coquet qu'il tient surtout à ne pas le
paraître; il feint d'entendre plutôt que de faire hausser la voix. Pour moi,
quant aux idées du jour, je me fais l'effet d'être tout aussi sourd que lui;
et du reste je ne m'en plains pas. Je ne fais même pas grand effort pour
entendre. A fréquenter Massillon et Bossuet, j'ai fini par croire que les
problèmes qui tourmentaient ces grands esprits sont tout aussi beaux et
importants que ceux qui passionnaient ma jeunesse ... problèmes que
ces grands esprits n'auraient pas pu comprendre sans doute ... non plus
que moi je ne puis comprendre ceux qui vous passionnent aujourd'hui ...
Alors, si vous le voulez bien, mon futur collègue, vous me parlerez de
préférence de vos études, puisque ce sont les miennes également, et
vous m'excuserez si je ne vous interroge pas sur les musiciens, les
poètes, les orateurs que vous aimez, ni sur la forme de gouvernement
que vous croyez la préférable.
Il regarda l'heure à un oignon attaché à un ruban noir:
--Rentrons à présent, dit-il en se levant. Je crois avoir perdu ma journée
quand je ne suis pas au travail à dix heures.
Je lui offris mon bras qu'il accepta, et comme, à cause de lui, parfois, je
ralentissais mon allure:
--Pressons! Pressons! me disait-il. Les pensées sont comme les fleurs,
celles qu'on cueille le matin se conservent le plus longtemps fraîches.
La bibliothèque de la Quartfourche est composée de deux pièces que
sépare un simple rideau: une, très exiguë et surhaussée de trois marches,
où travaille Monsieur Floche, à une table devant une fenêtre. Aucune
vue; des rameaux d'orme ou d'aulne viennent battre les carreaux; sur la
table, une antique lampe à réservoir, que coiffe un abat-jour de
porcelaine vert; sous la table, une énorme chancelière; un petit poêle
dans un coin, dans l'autre coin, une seconde table; chargée de lexiques;
entre deux, une armoire aménagée en cartonnier. La seconde pièce est
vaste; des livres tapissent le mur jusqu'au plafond; deux fenêtres; une
grande table au milieu de la pièce.
--C'est ici que vous vous installerez, me dit Monsieur Floche;--et,
comme je me récriais:
--Non, non; moi, je suis accoutumé au réduit; à dire vrai, je m'y sens
mieux; il me semble que ma pensée s'y concentre. Occupez la grande
table sans vergogne; et, si vous y tenez, pour que nous ne nous
dérangions pas, nous pourrons baisser le rideau.
--Oh! pas pour moi, protestai-je; jusqu'à présent, si pour travailler
j'avais eu besoin de solitude, je ne ...
--Eh bien! reprit-il en m'interrompant, nous le
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.