v'la beau! Si c'est Dieu permis de s'met' dans des états
pareils! On vous l'a pourtant répété bien des fois d'quitter l'Terno dans
la remise!... Allons! v'nez-vous en par ici qu'on vous essuie ...
Elle l'entraîna dans la cuisine. A ce moment j'entendis frapper à ma
porte; une femme de chambre m'apportait de l'eau chaude pour ma
toilette. Un quart d'heure après, la cloche sonna pour le déjeuner.
Comme j'entrais dans la salle à manger:
--Madame Floche, je crois que voici notre aimable hôte, dit l'abbé en
s'avançant à ma rencontre.
Madame Floche s'était levée de sa chaise, mais ne paraissait pas plus
grande debout qu'assise; je m'inclinai profondément devant elle; elle
m'honora d'un petit plongeon brusque; elle avait dû recevoir à un
certain âge quelque formidable événement sur la tête; celle-ci en était
restée irrémédiablement enfoncée entre les épaules; et même un peu de
travers. Monsieur Floche s'était mis tout à côté d'elle pour me tendre la
main. Les deux petits vieux étaient exactement de même taille, de
même habit, paraissaient de même âge, de même chair ... Durant
quelques instants nous échangeâmes des compliments vagues, parlant
tous les trois à la fois. Puis, il y eut un noble silence, et Mademoiselle
Verdure arriva portant la théière.
--Mademoiselle Olympe, dit enfin Madame Floche, qui, ne pouvant
tourner la tête, s'adressait à vous de tout le buste.--Mademoiselle
Olympe, notre amie, s'inquiétait beaucoup de savoir si vous aviez bien
dormi et si le lit était à votre convenance.
Je protestai que j'y avais reposé on ne pouvait mieux et que la cruche
chaude que j'y avais trouvée en me couchant m'avait fait tout le bien du
monde.
Mademoiselle Verdure, après m'avoir souhaité le bonjour, ressortit.
--Et, le matin, les bruits de la cuisine ne vous ont pas trop incommodé?
Je renouvelai mes protestations.
--Il faut vous plaindre, je vous en prie, parce que rien ne serait plus aisé
que de vous préparer une autre chambre ...
Monsieur Floche, sans rien dire lui-même, hochait la tête obliquement
et, d'un sourire, faisait sien chaque propos de sa femme.
--Je vois bien, dis-je, que la maison est très vaste; mais je vous certifie
que je ne saurais être installé plus agréablement.
--Monsieur et Madame Floche, dit l'abbé, se plaisent à gâter leurs hôtes.
Mademoiselle Olympe apportait sur une assiette des tranches de pain
grillé; elle poussa devant elle le petit estropié que j'avais vu culbuter
tout à l'heure. L'abbé le saisit par le bras:
--Allons, Casimir! Vous n'êtes plus un bébé; venez saluer Monsieur
Lacase comme un homme. Tendez la main ... Regardez en face!... puis
se tournant vers moi comme pour l'excuser:--Nous n'avons pas encore
grand usage du monde ...
La timidité de l'enfant me gênait:
--C'est votre petit-fils? demandai-je à Madame Floche, oublieux des
renseignements que l'abbé m'avait fournis la veille.
--Notre petit-neveu, répondit-elle; vous verrez un peu plus tard mon
beau-frère et ma soeur, ses grands-parents.
--Il n'osait pas rentrer parce qu'il avait empli de boue ses vêtements en
jouant avec Terno, expliqua Mademoiselle Verdure.
--Drôle de façon de jouer, dis-je, en me tournant affablement vers
Casimir; j'étais à la fenêtre quand il vous a culbuté ... Il ne vous a pas
fait mal?
--Il faut dire à Monsieur Lacase, expliqua l'abbé à son tour, que
l'équilibre n'est pas notre fort ...
Parbleu! je m'en apercevais de reste, sans qu'il fût nécessaire de me le
signaler. Ce grand gaillard d'abbé, aux yeux vairons, me devint
brusquement antipathique.
L'enfant ne m'avait pas répondu, mais son visage s'était empourpré. Je
regrettai ma phrase et qu'il y eût pu sentir quelque allusion à son
infirmité. L'abbé, son potage pris, s'était levé de table et arpentait la
pièce; dès qu'il ne parlait plus, il gardait les lèvres si serrées que celle
de dessus formait un bourrelet, comme celle des vieillards édentés. Il
s'arrêta derrière Casimir, et comme celui-ci vidait son bol: --Allons!
Allons, jeune homme, Avenzoar nous attend!
L'enfant se leva; tous deux sortirent.
Sitôt que le déjeuner fut achevé, Monsieur Floche me fit signe.
--Venez avec moi dans le jardin, mon jeune hôte, et me donnez des
nouvelles du Paris penseur.
Le langage de Monsieur Floche fleurissait dès l'aube. Sans trop écouter
mes réponses, il me questionna sur Gaston Boissier son ami, et sur
plusieurs autres savants que je pouvais avoir eus pour maîtres et avec
qui il correspondait encore de loin en loin; il s'informa de mes goûts, de
mes études ... Je ne lui parlai naturellement pas de mes projets
littéraires et ne laissai voir de moi que le sorbonnien; puis il entreprit
l'histoire de la Quartfourche, dont il n'avait à peu près pas bougé depuis
près de quinze ans, l'histoire du parc, du château; il réserva pour plus
tard l'histoire de la famille qui l'habitait précédemment, mais
commença de me raconter comment il se
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