Introduction à létude de la médecine expérimentale | Page 8

Claude Bernard
de recherches mis en usage.
J'ai montré dans le paragraphe précédent que les définitions et les
distinctions qu'on a essayé d'établir d'après l'activité ou la passivité de
l'investigation, ne sont pas soutenables. En effet, l'observateur et
l'expérimentateur sont des investigateurs qui cherchent à constater les
faits de leur mieux et qui emploient à cet effet des moyens d'étude plus
ou moins compliqués, selon la complexité des phénomènes qu'ils
étudient. Ils peuvent, l'un et l'autre, avoir besoin de la même activité
manuelle et intellectuelle, de la même habileté, du même esprit
d'invention, pour créer et perfectionner les divers appareils ou
instruments d'investigation qui leur sont communs pour la plupart.
Chaque science a en quelque sorte un genre d'investigation qui lui est
propre et un attirail d'instruments et de procédés spéciaux. Cela se
conçoit d'ailleurs puisque chaque science se distingue par la nature de
ses problèmes et par la diversité des phénomènes qu'elle étudie.
L'investigation médicale est la plus compliquée de toutes; elle

comprend tous les procédés qui sont propres aux recherches
anatomiques, physiologiques, pathologiques et thérapeutiques, et, de
plus, en se développant, elle emprunte à la chimie et à la physique une
foule de moyens de recherches qui deviennent pour elle de puissants
auxiliaires. Tous les progrès des sciences expérimentales se mesurent
par le perfectionnement de leurs moyens d'investigation. Tout l'avenir
de la médecine expérimentale est subordonné à la création d'une
méthode de recherche applicable avec fruit à l'étude des phénomènes de
la vie, soit à l'état normal, soit à l'état pathologique. Je n'insisterai pas
ici sur la nécessité d'une telle méthode d'investigation expérimentale en
médecine, et je n'essayerai pas même d'en énumérer les difficultés. Je
me bornerai à dire que toute ma vie scientifique est vouée à concourir
pour ma part à cette oeuvre immense que la science moderne aura la
gloire d'avoir comprise et le mérite d'avoir inaugurée, en laissant aux
siècles futurs le soin de la continuer et de la fonder définitivement. Les
deux volumes qui constitueront mon ouvrage sur les Principes de la
médecine expérimentale seront uniquement consacrés au
développement de procédés d'investigation expérimentale appliqués à
la physiologie, à la pathologie et à la thérapeutique. Mais comme il est
impossible à un seul d'envisager toutes les faces de l'investigation
médicale, et pour me limiter encore dans un sujet aussi vaste, je
m'occuperai plus particulièrement de la régularisation des procédés de
vivisections zoologiques. Cette branche de l'investigation biologique
est sans contredit la plus délicate et la plus difficile; mais je la
considère comme la plus féconde et comme étant celle qui peut être
d'une plus grande utilité immédiate à l'avancement de la médecine
expérimentale.
Dans l'investigation scientifique, les moindres procédés sont de la plus
haute importance. Le choix heureux d'un animal, un instrument
construit d'une certaine façon, l'emploi d'un réactif au lieu d'un autre,
suffisent souvent pour résoudre les questions générales les plus élevées.
Chaque fois qu'un moyen nouveau et sûr d'analyse expérimentale surgit,
on voit toujours la science faire des progrès dans les questions
auxquelles ce moyen peut être appliqué. Par contre, une mauvaise
méthode et des procédés de recherche défectueux peuvent entraîner
dans les erreurs les plus graves et retarder la science en la fourvoyant.

En un mot, les plus grandes vérités scientifiques ont leurs racines dans
les détails de l'investigation expérimentale qui constituent en quelque
sorte le sol dans lequel ces vérités se développent.
Il faut avoir été élevé et avoir vécu dans les laboratoires pour bien
sentir toute l'importance de tous ces détails de procédés d'investigation,
qui sont si souvent ignorés et méprisés par les faux savants qui
s'intitulent généralisateurs. Pourtant on n'arrivera jamais à des
généralisations vraiment fécondes et lumineuses sur les phénomènes
vitaux, qu'autant qu'on aura expérimenté soi-même et remué dans
l'hôpital, l'amphithéâtre ou le laboratoire, le terrain fétide ou palpitant
de la vie. On a dit quelque part que la vraie science devait être
comparée à un plateau fleuri et délicieux sur lequel on ne pouvait
arriver qu'après avoir gravi des pentes escarpées et s'être écorché les
jambes à travers les ronces et les broussailles. S'il fallait donner une
comparaison qui exprimât mon sentiment sur la science de la vie, je
dirais que c'est un salon superbe tout resplendissant de lumière, dans
lequel on ne peut parvenir qu'en passant par une longue et affreuse
cuisine.
§ IV. -- De l'observateur et de l'expérimentateur; des sciences
d'observation et d'expérimentation.
Nous venons de voir, qu'au point de vue de l'art de l'investigation,
l'observation et l'expérience ne doivent être considérées que comme des
faits mis en lumière par l'investigateur, et nous avons ajouté que la
méthode d'investigation ne distingue pas celui qui observe de celui qui
expérimente. Où donc se trouve dès lors, demandera-t-on, la distinction
entre l'observateur et l'expérimentateur? Le voici: on donne le nom
d'observateur à celui qui applique les procédés d'investigations simples
ou
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