complexes à l'étude de phénomènes qu'il ne fait pas varier et qu'il
recueille, par conséquent, tels que la nature les lui offre. On donne le
nom d'expérimentateur à celui qui emploie les procédés d'investigation
simples ou complexes pour faire varier ou modifier, dans un but
quelconque, les phénomènes naturels et les faire apparaître dans des
circonstances ou dans des conditions dans lesquelles la nature ne les lui
présentait pas. Dans ce sens, l'observation est l'investigation d'un
phénomène naturel, et l'expérience est l'investigation d'un phénomène
modifié par l'investigateur. Cette distinction qui semble être tout
extrinsèque et résider simplement dans une définition de mots, donne
cependant, comme nous allons le voir, le seul sens suivant lequel il faut
comprendre la différence importante qui sépare les sciences
d'observation des sciences d'expérimentation ou expérimentales.
Nous avons dit, dans un paragraphe précédent, qu'au point de vue du
raisonnement expérimental les mots observation et expérience pris dans
un sens abstrait signifient, le premier, la constatation pure et simple
d'un fait, le second, le contrôle d'une idée par un fait. Mais si nous
n'envisagions l'observation que dans ce sens abstrait, il ne nous serait
pas possible d'en tirer une science d'observation. La simple constatation
des faits ne pourra jamais parvenir à constituer une science. On aurait
beau multiplier les faits ou les observations, que cela n'en apprendrait
pas davantage. Pour s'instruire, il faut nécessairement raisonner sur ce
que l'on a observé, comparer les faits et les juger par d'autres faits qui
servent de contrôle. Mais une observation peut servir de contrôle à une
autre observation. De sorte qu'une science d'observation sera
simplement une science faite avec des observations, c'est-à-dire une
science dans laquelle on raisonnera sur des faits d'observation naturelle,
tels que nous les avons définis plus haut. Une science expérimentale ou
d'expérimentation sera une science faite avec des expériences,
c'est-à-dire dans laquelle on raisonnera sur des faits d'expérimentation
obtenus dans des conditions que l'expérimentateur a créées et
déterminées lui-même.
Il y a des sciences qui, comme l'astronomie, resteront toujours pour
nous des sciences d'observation, parce que les phénomènes qu'elles
étudient sont hors de notre sphère d'action; mais les sciences terrestres
peuvent être à la fois des sciences d'observation et des sciences
expérimentales. Il faut ajouter que toutes ces sciences commencent par
être des sciences d'observation pure; ce n'est qu'en avançant dans
l'analyse des phénomènes qu'elles deviennent expérimentales, parce
que l'observateur, se transformant en expérimentateur, imagine des
procédés d'investigation pour pénétrer dans les corps et faire varier les
conditions des phénomènes. L'expérimentation n'est que la mise en
oeuvre des procédés d'investigation qui sont spéciaux à
l'expérimentateur.
Maintenant, quant au raisonnement expérimental, il sera absolument le
même dans les sciences d'observation et dans les sciences
expérimentales. Il y aura toujours jugement par une comparaison
s'appuyant sur deux faits, l'un qui sert de point de départ, l'autre qui sert
de conclusion au raisonnement. Seulement dans les sciences
d'observation les deux faits seront toujours des observations; tandis que
dans les sciences expérimentales les deux faits pourront être empruntés
à l'expérimentation exclusivement, ou à l'expérimentation et à
l'observation à la fois, selon les cas et suivant que l'on pénètre plus ou
moins profondément dans l'analyse expérimentale. Un médecin qui
observe une maladie dans diverses circonstances, qui raisonne sur
l'influence de ces circonstances, et qui en tire des conséquences qui se
trouvent contrôlées par d'autres observations; ce médecin fera un
raisonnement expérimental quoiqu'il ne fasse pas d'expériences. Mais
s'il veut aller plus loin et connaître le mécanisme intérieur de la maladie,
il aura affaire à des phénomènes cachés, alors il devra expérimenter;
mais il raisonnera toujours de même.
Un naturaliste qui observe des animaux dans toutes les conditions de
leur existence et qui tire de ces observations des conséquences qui se
trouvent vérifiées et contrôlées par d'autres observations, ce naturaliste
emploiera la méthode expérimentale, quoiqu'il ne fasse pas de
l'expérimentation proprement dite. Mais s'il lui faut aller observer des
phénomènes dans l'estomac, il doit imaginer des procédés
d'expérimentation plus ou moins complexes pour voir dans une cavité
cachée à ses regards. Néanmoins le raisonnement expérimental est
toujours le même; Réaumur et Spallanzani appliquent également la
méthode expérimentale quand ils font leurs observations d'histoire
naturelle ou leurs expériences sur la digestion. Quand Pascal fit une
observation barométrique au bas de la tour Saint-Jacques et qu'il en
institua ensuite une autre sur le haut de la tour, on admet qu'il fit une
expérience, et cependant ce ne sont que deux observations comparées
sur la pression de l'air, exécutées en vue de l'idée préconçue que cette
pression devait varier suivant les hauteurs. Au contraire, quand
Jenner[6] observait le coucou sur un arbre avec une longue vue afin de
ne point l'effaroucher, il faisait une simple observation, parce qu'il ne la
comparait pas à une première pour en tirer une conclusion et porter sur
elle un jugement. De même
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