sans acquérir de
l'expérience, si l'on se borne à la constatation des faits.
L'observation est donc ce qui montre les faits; l'expérience est ce qui
instruit sur les faits et ce qui donne de l'expérience relativement à une
chose. Mais comme cette instruction ne peut arriver que par une
comparaison et un jugement, c'est-à-dire par suite d'un raisonnement, il
en résulte que l'homme seul est capable d'acquérir de l'expérience et de
se perfectionner par elle.
«L'expérience, dit Goethe, corrige l'homme chaque jour.» Mais c'est
parce qu'il raisonne juste et expérimentalement sur ce qu'il observe;
sans cela il ne se corrigerait pas. L'homme qui a perdu la raison, l'aliéné,
ne s'instruit plus par l'expérience, il ne raisonne plus expérimentalement.
L'expérience est donc le privilège de la raison. «À l'homme seul
appartient de vérifier ses pensées, de les ordonner; à l'homme seul
appartient de corriger, de rectifier, d'améliorer, de perfectionner et de
pouvoir ainsi tous les jours se rendre plus habile, plus sage et plus
heureux. Pour l'homme seul, enfin, existe un art, un art suprême, dont
tous les arts les plus vantés ne sont que les instruments et l'ouvrage:
l'art de la raison, le raisonnement[5].»
Nous donnerons au mot expérience, en médecine expérimentale, le
même sens général qu'il conserve partout. Le savant s'instruit chaque
jour par l'expérience; par elle il corrige incessamment ses idées
scientifiques, ses théories, les rectifie pour les mettre en harmonie avec
un nombre de faits de plus en plus grands, et pour approcher ainsi de
plus en plus de la vérité.
On peut s'instruire, c'est-à-dire acquérir de l'expérience sur ce qui nous
entoure, de deux manières, empiriquement et expérimentalement. Il y a
d'abord une sorte d'instruction ou d'expérience inconsciente et
empirique, que l'on obtient par la pratique de chaque chose. Mais cette
connaissance que l'on acquiert ainsi n'en est pas moins nécessairement
accompagnée d'un raisonnement expérimental vague que l'on se fait
sans s'en rendre compte, et par suite duquel on rapproche les faits afin
de porter sur eux un jugement. L'expérience peut donc s'acquérir par un
raisonnement empirique et inconscient; mais cette marche obscure et
spontanée de l'esprit a été érigée par le savant en une méthode claire et
raisonnée, qui procède alors plus rapidement et d'une manière
consciente vers un but déterminé. Telle est la méthode expérimentale
dans les sciences, d'après laquelle l'expérience est toujours acquise en
vertu d'un raisonnement précis établi sur une idée qu'a fait naître
l'observation et que contrôle l'expérience. En effet, il y a dans toute
connaissance expérimentale trois phases: observation faite,
comparaison établie et jugement motivé. La méthode expérimentale ne
fait pas autre chose que porter un jugement sur les faits qui nous
entourent, à l'aide d'un criterium qui n'est lui-même qu'un autre fait
disposé de façon à contrôler le jugement et à donner l'expérience. Prise
dans ce sens général, l'expérience est l'unique source des connaissances
humaines. L'esprit n'a en lui-même que le sentiment d'une relation
nécessaire dans les choses, mais il ne peut connaître la forme de cette
relation que par l'expérience.
Il y aura donc deux choses à considérer dans la méthode expérimentale:
1° l'art d'obtenir des faits exacts au moyen d'une investigation
rigoureuse; 2° l'art de les mettre en oeuvre au moyen d'un raisonnement
expérimental afin d'en faire ressortir la connaissance de la loi des
phénomènes. Nous avons dit que le raisonnement expérimental s'exerce
toujours et nécessairement sur deux faits à la fois, l'un qui lui sert de
point de départ: l'observation; l'autre qui lui sert de conclusion ou de
contrôle: l'expérience. Toutefois ce n'est, en quelque sorte, que comme
abstraction logique et en raison de la place qu'ils occupent qu'on peut
distinguer, dans le raisonnement, le fait observation du fait expérience.
Mais, en dehors du raisonnement expérimental, l'observation et
l'expérience n'existent plus dans le sens abstrait qui précède; il n'y a
dans l'une comme dans l'autre que des faits concrets qu'il s'agit
d'obtenir par des procédés d'investigation exacts et rigoureux. Nous
verrons plus loin que l'investigateur doit être lui-même distingué en
observateur et en expérimentateur; non suivant qu'il est actif ou passif
dans la production des phénomènes, mais suivant qu'il agit ou non sur
eux pour s'en rendre maître.
§ III. -- De l'investigateur; de la recherche scientifique.
L'art de l'investigation scientifique est la pierre angulaire de toutes les
sciences expérimentales. Si les faits qui servent de base au
raisonnement sont mal établis ou erronés, tout s'écroulera ou tout
deviendra faux; et c'est ainsi que, le plus souvent, les erreurs dans les
théories scientifiques ont pour origine des erreurs de faits.
Dans l'investigation considérée comme art de recherches
expérimentales, il n'y a que des faits mis en lumière par l'investigateur
et constatés le plus rigoureusement possible, à l'aide des moyens les
mieux appropriés. Il n'y a plus lieu de distinguer ici l'observateur de
l'expérimentateur par la nature des procédés
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