qu'on ne put tirer d'indices de la terre fraîchement remuée, ils
placèrent sur la fosse un tonneau plein de chair de porc salée. Après
cela, chacun s'alla coucher.
Le jour venu, les autres domestiques, ne voyant pas leur maître, se
demandaient les uns aux autres s'il était malade? La dame leur dit qu'un
de ses amis était venu le chercher la nuit précédente, et l'avait emmené
précipitemment, pour aller séparer des gentilshommes du voisinage qui
étaient sur le point de se battre. Ce subterfuge fut bon pour un tems;
mais au bout de quinze jours, comme M. de la Courtinière ne paraissait
point, on commença à devenir inquiet. Sa veuve fit répandre le bruit
qu'elle avait eu avis que son mari passant par un bois avait fait
rencontre de voleurs qui l'avaient assassiné. En même tems elle se
couvrit de vêtemens de deuil, fit des lamentations dissimulées, et
commanda qu'on fit dans les paroisses dont il avait été seigneur, des
services et des prières pour le repos de l'âme du défunt.
Tous ses parens et ses voisins vinrent la consoler, et elle joua si bien la
douleur, que jamais personne n'eût découvert son crime, si le ciel n'eût
permis qu'il fût dévoilé.
Le défunt avait un frère qui venait quelquefois voir sa belle-soeur, tant
pour la distraire de ses prétendus chagrins, que pour veiller à ses
affaires et aux intérêts des quatre enfans mineurs du défunt. Un jour
qu'il se promenait, sur les quatre à cinq heures de l'après-dinée, dans le
jardin du château, comme il contemplait un parterre orné de belles
tulipes et autres fleurs rares que son frère avait beaucoup aimées, il lui
prit tout-à-coup un saignement de nez, ce qui l'étonna fort, n'ayant
jamais éprouvé cet accident. En ce moment, il songeait fortement à son
frère; il lui sembla qu'il voyait l'ombre de M. de la Courtinière qui lui
faisait signe de la main et semblait l'appeler. Il ne s'effraya point; il
suivit le spectre jusqu'au cellier de la maison, et le vit disparaître
justement sur la fosse où il avait été enterré. Ce prodige lui donna
quelques soupçons sur le forfait commis. Pour s'en assurer, il alla
raconter ce qu'il venait de voir à sa belle-soeur. Cette dame pâlit,
changea de visage, et balbutia des mots sans liaison. Les soupçons du
frère se fortifièrent de ce trouble; il demanda qu'on fit creuser dans le
lieu où il avait vu disparaître le fantôme. La veuve, que cette subite
résolution épouvanta, fit un effort sur elle-même, prit une contenance
ferme, se moqua de l'apparition, et assaya d'appaiser les inquiétudes de
son beau-frère. Elle lui représenta que s'il se vantait d'avoir eu une
pareille vision, chacun se moquerait de lui, et qu'il serait la risée de tout
le monde.
Mais tous ces discours ne purent le détourner de son dessin. Il fit
creuser dans le cellier, en présence de témoins; on découvrit le cadavre
de son frère, à moitié corrompu. Le corps fut levé et reconnu par le juge
de Quimper-Corentin. La veuve fut arrêtée avec tous les domestiques et
les trois coupables furent condamnés au feu. Tous les biens de la dame
furent confisqués, pour être employés en oeuvres pieuses.
AVENTURE DE LA TANTE MÉLANCHTON.
Philippe Mélanchton raconte que sa tante, ayant perdu son mari,
lorsqu'elle était enceinte, et près de son terme, vit un soir, étant assise
auprès de son feu, deux personnes entrer dans sa maison, l'une ayant la
forme de son mari décédé, l'autre celle d'un franciscain de grande taille.
D'abord elle en fut effrayée; mais son mari la rassura, et lui dit qu'il
avait quelque chose d'important à lui communiquer; ensuite il fit signe
au franciscain de passer un moment dans la chambre voisine, en
attendant qu'il eut fait connaître ses volontés à sa femme. Alors il la
pria de lui faire dire des messes, et l'engagea à lui donner la main sans
crainte. Comme elle en faisait difficulté, il l'assura qu'elle n'en
ressentirait aucun mal. Elle mit donc sa main dans celle de son mari; et
elle la retira, sans douleur à la vérité, mais tellement brûlée, qu'elle en
demeura noire toute sa vie. Après quoi, le mari rappella le franciscain;
et les deux spectres disparurent......
LE SPECTRE D'OLIVIER.
PETIT ROMAN.
Olivier Prévillars et Baudouin Vertolon, nés tous deux dans la ville de
Caen, se lièrent dès l'enfance de la plus étroite amitié. Ils étaient
à-peu-près du même âge, leurs parens étaient voisins; tout concourut à
rendre durable l'amitié qu'ils avaient l'un pour l'autre.
Un jour, dans une exaltation de sentiment assez ordinaire à la première
jeunesse, ils se promirent de ne jamais s'oublier, et jurèrent même que
celui qui mourrait le premier, viendrait à l'instant trouver l'autre pour ne
plus le quitter. Ils écrivirent et signèrent ce serment de leur propre sang.

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