vous donne l'exemple, dit-elle, car je ne veux pas tenir sur ses
jambes un homme qui a marché toute la journée.
Il s'assit alors près d'elle, assez intrigué par la tournure que prenait cet
entretien bizarre.
--Quel but pensez-vous que j'aie eu en vous priant d'ouvrir cette porte?
demanda-t-elle.
--Dame!... je n'en sais rien... à moins que ce ne soit pour causer un
instant.
--Vous n'y êtes pas du tout: j'ai une prière à vous adresser.
--A moi?
--Et qui me rendra très heureuse si vous ne la repoussez point.
--Alors il est entendu d'avance que ce que vous souhaitez sera fait.
--Non, rien à l'avance: écoutez-moi d'abord, et puis, selon que ce que je
vous demanderai vous plaira ou ne vous plaira point, vous me
répondrez. Vous souvenez vous d'un mot que j'ai dit l'autre jour, à notre
retour de notre promenade en voiture?
--A propos de quoi ce mot?
--A propos d'une excursion dans la montagne.
--Parfaitement.
--Eh bien! ce mot m'a valu une vive remontrance de mon oncle, et,
quand je dis remontrance, c'est pour ne pas employer une expression
plus forte. Cependant cela ne m'a pas fait renoncer à mon idée, et plus
mon oncle m'a dit que j'avais commis une sottise et une inconvenance
en manifestant le désir de vous accompagner dans une de vos
excursions, plus ce désir a été ardent. Cet aveu va peut-être vous
donner une assez mauvaise idée de mon caractère, mais au moins il
vous prouvera que je suis franche. Et puis ce désir n'est-il pas bien
justifiable, après tout? Je suis enfermée dans cet hôtel; ma mère est
empêchée de sortir par sa maladie, mon oncle est retenu par son horreur
de la fatigue et de la marche. Moi, qui ne suis pas malade et qui n'ai pas
horreur de la marche, j'ai envie de voir ce qu'il y a derrière ces rochers
qui se dressent du matin au soir devant mes yeux comme des points
d'interrogation. N'est-ce pas tout naturel? Et voilà pourquoi je veux
vous demander de vous accompagner quelquefois. Voilà ma prière.
Enfin voilà comment j'ai été amenée à pousser ce verrou.
--Je vous ai dit que d'avance ce que vous souhaitiez serait fait, je ne
puis que vous le répéter. Maintenant, quand vous plaît-il que nous
entreprenions cette promenade?
--Oh! ce n'est pas ainsi que les choses doivent se passer. Le grand grief
de mon oncle, ça été que je venais me jeter à travers vos projets d'une
façon importune et gênante. Si demain matin je lui dis que je pars avec
vous pour cette promenade, il comprendra que son discours n'a pas été
très efficace, et il le recommencera en l'accentuant. Le moyen
d'échapper à ce nouveau discours, c'est que vous demandiez
vous-même à mon oncle de me faire faire cette promenade; comme cela,
il ne pourra plus parler de mon importunité. Le voulez-vous?
Il fut convenu que, la lendemain matin, le colonel adresserait sa
demande au prince.
Carmelita, ordinairement impassible comme si elle était insensible à
tout, se montra radieuse.
--Maintenant, dit-elle, je ne veux pas abuser plus longtemps de votre
hospitalité. Bonsoir, voisin; à demain.
Et, après lui avoir tendu la main, elle rentra dans sa chambre.
Mais presque aussitôt rouvrant la porte:
--Comment! dit-elle, vous n'avez pas tourné la clef?
--Mais....
--Mais il le faut, de même qu'il faut que je pousse le verrou pour mon
oncle.
Le lendemain matin, il adressa au prince Mazzazoli sa demande ou
plutôt la demande de Carmelita.
--C'est cette grande enfant, s'écria le prince, qui j'en suis certain, vous a
tourmenté pour vous accompagner dans vos excursions?
--Elle a manifesté le désir de parcourir la montagne, et je suis heureux
de me mettre â sa disposition.
--Vous êtes heureux d'aller où bon vous semble, librement voilà qui est
certain, et c'est bien assez que nous soyons venus vous chasser de votre
appartement, sans encore vous prendre votre liberté. Excusez-la, je
vous prie; elle n'a pas pris garde à ce qu'elle vous demandait.
--Refusez-vous de me la confier?
--Je refuse de vous ennuyer.
L'entretien ainsi engagé ne pouvait finir que par la défaite du prince.
Un quart d'heure après, Carmelita était prête à partir: elle avait revêtu
un costume bizarre: une robe courte, serrée à la taille par un ceinturon
de cuir et modulant sa taille et ses épaules; aux pieds, des souliers pris
dans les guêtres; sur la tête un petit chapeau de feutre, sans plumes,
mais avec un voile gris flottant au vent; à la main, une longue canne.
--M'acceptez-vous ainsi? dit-elle en posant sur lui ses grands yeux
clairs. Je vous promets de vous suivre sans demander grâce, et de
passer partout où vous passerez; le pied est solide et je ne sais pas ce
que que c'est que le vertige.
Ils partirent sans qu'il pensât
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