parmi nous. Personne n'a répliqué un mot. Mais la
marquise, s'étant éloignée, on s'est expliqué, et tout le monde est tombé
d'accord sur la traduction à faire des paroles de madame de Lucillière.
Évidemment la femme ne pouvait pas accuser le mari franchement,
ouvertement; mais, d'un autre côté, l'amie ne voulait pas qu'on pût vous
soupçonner de vous associer aux procédés du marquis. De là ce petit
discours assez obscur, en apparence, mais au fond très clair. Qu'en
pensez-vous?
Ainsi la marquise n'avait pas craint d'expliquer leur rupture en jetant la
suspicion sur son mari. «Ce n'est pas avec moi qu'il a rompu, avait-elle
dit; c'est avec M. de Lucillière.»
Elle tenait donc bien à ménager la jalousie de ses fidèles, qu'elle ne
reculait pas devant une pareille explication.
A ce moment, la comtesse Belmonte et Carmelita descendirent dans le
jardin, prêtes pour la promenade, et l'on monta en voiture.
Le prince s'étant placé vis-à-vis de sa soeur, le colonel se trouva en face
de Carmelita.
Il ne pouvait pas lever les yeux sans rencontrer ceux de la belle
Italienne, posés sur les siens.
La promenade fut longue et ils restèrent plusieurs heures ainsi en face
l'un de l'autre.
--Est-ce qu'il y a des chemins de voiture pour aller sur les flancs de
cette montagne? demanda Carmelita en rentrant à l'hôtel et en montrant
du bout de son ombrelle les pentes boisées du mont Cubli.
--Non, répondit le colonel; il n'y a que des sentiers pour les piétons.
--Ne me demande pas de t'accompagner, dit le prince; tu sais que les
ascensions sont impossibles pour moi.
--Oh! quand je voudrai faire cette promenade, ce ne sera pas à vous que
je m'adresserai, mon cher oncle, dit-elle en riant; ce sera au colonel.
III
Le colonel, le lendemain matin, était parti en excursion de manière à
n'être pas exposé à refuser Carmelita, ce qui était presque impossible,
ou à l'accompagner, ce qui n'était pas pour lui plaire dans les conditions
morales où il se trouvait présentement.
Il resta absent pendant deux jours, et ne revint qu'assez tard dans la
soirée, bien décidé à repartir le lendemain matin. Il n'y avait pas deux
minutes qu'il était dans sa chambre, lorsqu'il entendit frapper deux ou
trois petits coups à la porte cloison; en même temps une voix,--celle de
Carmelita--l'appela:
--Vous rentrez?
--A l'instant.
--Vous avez fait bon voyage?
--Très bon, je vous remercie.
--Est-ce que vous êtes mort de fatigue?
--Pas du tout.
--Ah! tant mieux. Est-ce que la porte est condamnée de votre côté!
--Elle est fermée à clef.
--Et vous avez la clef?
--Elle est sur la serrure.
--De sorte que, si vous voulez, voue pouvez ouvrir cette porte?
--Mais pas du tout; il y a un verrou de votre côté?
--Je sais bien. Je dis seulement que, si vous voulez tourner la clef en
même temps que je pousse le verrou, la porte s'ouvre.
--Parfaitement.
--Eh bien! alors, si vous n'êtes pas mort de fatigue, vous plaît-il de
tourner la clef? moi, je pousse le verrou.
Carmelita apparut, le visage souriant, la main tendue:
--Bonsoir, voisin, dit-elle.
--Bonsoir, voisine.
Et ils restèrent en face l'un de l'autre durant quelques secondes.
--Ma mère est endormie, et son premier sommeil est ordinairement
difficile à troubler; cependant, en parlant ainsi à travers les cloisons,
nous aurions pu la réveiller. Voilà pourquoi je vous ai demandé d'ouvrir
cette porte.
Elle ne montrait nul embarras et paraissait aussi à son aise dans cette
chambre qu'en plein jour, au milieu d'un salon.
--Depuis plus d'une heure je guettais votre retour, dit-elle, et je croyais
déjà qu'il en serait aujourd'hui comme il en avait été hier.
--Hier j'ai été surpris par la nuit à une assez grande distance, et je n'ai
pas pu rentrer.
--Et où avez-vous couché?
--Sur un tas de foin dans un chalet de la montagne.
--Mais c'est très amusant, cela.
--Cela vaut mieux que de coucher à la belle étoile, car les nuits sont
fraîches dans la montagne; mais il y a quelque chose qui vaut encore
beaucoup mieux qu'un tas de foin, c'est un bon lit.
--Vous aimez ces courses dans la montagne.
--J'aime la vie active, la fatigue; ces courses me délassent de la vie
sédentaire que j'ai menée en ces derniers temps.
--Ah! vous êtes heureux.
Comme il ne répondait pas, elle continua:
--J'entends que vous êtes heureux de faire ce que vous voulez, d'aller où
vous voulez, sans avoir à consulter personne. Savez-vous que depuis
que je ne suis plus une toute petite fille, je n'ai pu faire un pas sans la
permission de mon oncle, et il faut dire que presque toutes les fois que
je lui ai demandé d'aller à gauche il m'a permis d'aller à droite.
Elle s'avança dans la chambre, et, prenant une chaise, elle s'assit.
--Je
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