ou l'autre, il est bien naturel cependant que je
vous cède tout de suite une chambre qui vous est indispensable, car
vous ne pouvez pas rester dans le trou où vous avez passé la nuit.
--Un jour ou l'autre, je vous le répète, je comprends cela; ce que je ne
comprends pas, c'est aujourd'hui. Ainsi, voilà qui est bien entendu: si
vous persistez dans votre intention de partir ce soir, c'est nous qui
partons ce matin pour les Diablerets ou pour Champéry, peu importe; si
au contraire vous restez pour quelques jours, nous restons, nous aussi,
tout le temps qui sera nécessaire pour la santé de ma soeur.
Dépossédé de la chambre dans laquelle il prenait ses repas, le colonel
dut déjeuner dans la salle à manger commune.
Au moment où il allait entrer dans cette salle, il se rencontra avec le
prince, et celui-ci lui proposa de prendre place à la table qu'il s'était fait
réserver, au lieu de s'asseoir à la grande table.
Il se trouva donc placé entre la comtesse et Carmelita, et, au lieu de lire
tout en mangeant, comme il en avait l'habitude lorsqu'il était seul, il dut
soutenir une conversation suivie.
Il avait une crainte assez poignante, qui était que la comtesse ou
Carmelita vinssent à parler de madame de Lucillière; mais le nom de la
marquise ne fut même pas prononcé, et, comme s'il y avait eu une
entente préalable pour éviter les sujets qui pouvaient le gêner, on ne
parla pas de Paris.
La comtesse ne s'occupa que de sa maladie, et Carmelita que du pays
dans lequel elle allait passer une saison.
Elle montra même tant d'empressement à connaître ce pays, que le
colonel se trouva pour ainsi dire obligé à se mettre à sa disposition pour
la guider après le déjeuner.
--Nous commanderons une voiture, dit le prince, et et nous emploierons
notre après-midi à visiter les villages environnants.
Pendant que la comtesse et sa fille allaient revêtir une toilette de
promenade, le prince prit le colonel par le bras et l'emmena à l'écart.
--Est-ce que vous avez reçu des lettres de Paris depuis votre départ?
demanda-t-il.
--Non.
--Alors vous ignorez l'effet que ce départ a produit?
C'était là un sujet de conversation qui ne pouvait être que très pénible
pour le colonel; il ne répondit donc pas à cette question.
Mais le prince continua:
--Personne ne s'est mépris sur les causes qui ont provoqué votre
brusque détermination.
Le colonel leva le bras, comme pour fermer la bouche au prince; mais
celui-ci parut ne pas comprendre ce geste.
--Et tout le monde vous a approuvé, dit-il; il n'y a qu'une voix dans tout
Paris.
Disant cela, le prince Mazzazoli tendit sa main au colonel comme pour
joindre sa propre approbation à celle de tout Paris.
La situation était embarrassante pour le colonel. Que signifiaient ces
paroles? Pourquoi et à propos de quoi l'avait-on approuvé? C'était une
question qu'il ne pouvait pas poser au prince cependant.
--Je vous dirai entre nous, continua celui-ci, que madame de Lucillière
elle-même n'a pas caché son sentiment.
Ce nom ainsi prononcé le fit pâlir et son coeur se serra, mais la
curiosité l'empêcha de s'abandonner à son émotion.
--Quel sentiment? demanda-t-il.
--Mais celui qu'elle a éprouvé en apprenant votre départ. D'abord,
quand on a commencé à croire que vous aviez véritablement quitté
Paris, on a été fort étonné; tout le monde avait pensé qu'il ne s'agissait
que d'une excursion de quelques jours. Mais, en ne vous voyant pas
revenir, on a compris que c'était au contraire un vrai départ. Pourquoi
ce départ? C'est la question que chacun s'est posée, et, chez tout le
monde, la réponse a été la même.
Sur ce mot, le prince Mazzazoli fit une pause et regarda le colonel en se
rapprochant de lui.
--Trouvant votre responsabilité trop gravement compromise dans votre
association avec le marquis de Lucillière, vous vouliez bien établir que
vous n'étiez pour rien dans les paris engagés sur Voltigeur.
Le colonel respira: l'esprit et le coeur remplis d'une seule pensée, il
n'avait nullement songé à cette explication, et il avait tout rapporté,
dans ces paroles à double sens, à madame de Lucillière.
--Un jour que l'on discutait votre départ mystérieux dans un cercle
composé des fidèles ordinaires de la marquise, le duc de Mestosa, le
prince Sératoff, lord Fergusson, madame de Lucillière affirma très
nettement que vous aviez bien fait de quitter Paris. «Le colonel est un
homme violent, dit-elle, un caractère emporté; il eût pu se lâcher en
entendant les sots propos qu'on colporte sur les gains extraordinaires de
Voltigeur, et avec lui les choses seraient assurément allées à l'extrême.
Il a voulu se mettre dans l'impossibilité de se laisser emporter; je trouve
qu'il a agi sagement.» Vous pensez, mon cher ami, si ces paroles ont
jeté un froid
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.