Humoresques | Page 6

Tristan Klingsor
gilet usé à ramages
violets.
L'automne mélancolique ce soir
Commence à rouiller les feuilles sans
sève:
Monsieur le professeur les regarde choir
Une à une, et rêve ...
Monsieur le professeur a des lunettes d'or
Sur son nez long d'une
aune
Et des fils d'argent dans ses cheveux jaunes
Et multicolores.
Et pourtant monsieur le professeur fut jeune homme
Probablement,
rose au jabot, sourire aux lèvres;
Mais maintenant, monsieur le
professeur rêve
Et contemple le soir d'automne.
Monsieur le professeur songe à madame Rose
Sa ménagère au teint
rosé de lilas;
Monsieur le professeur rêve et pose
Dans le creux de
sa main son front las.
Un espiègle tire son mouchoir à fleurs;
Un air suranné d'épinette
s'achève;
Au fond du vieux jardin anglais le jet d'eau pleure:

Monsieur le professeur rêve ...
FRÉJOL
Que Fréjol chante ou que Frégoli
Change de veste,
Qu'importe si le
pli
De ton ventre reste.
Charmant bourgeois
Qui décampas du logis
L'oeil tout en joie,

Ton nez comme aubergine rougeoie
Aux bougies.

Le poétique clair de lune sur l'osier
Peut luire et le rossignol gris
s'égosiller,
Tu t'en fiches:
Fréjol et Frégoli sont sur l'affiche.
Et cependant qu'un vieil alcool descend la pente
De ton gosier à col
crasseux,
Madame au coeur tendre se penche
Et sournoisement se
grise de ce
Que Fréjol chante.
MADEMOISELLE DE MONTPENSIER
Dans ce vieux Luxembourg cher au coeur d'Antonio
De la Gandara,

Dans ce vieux Luxembourg,
La flûte, le trombone et le tambour

Qu'un beau militaire bat à tour de bras,
La flûte, le trombone et le
tambour
Esquissent un trio.
Hé! hé! la fine jambe que voici!
Le bourgeois assis
Vers elle glisse

Une oeillade d'amour farcie;
Ce hautboïste emplit les coeurs de
poésie:
Qu'en dites-vous, nourrice?
Chut! le capitaine de musique s'assied
Et la petite flûte s'est tue;

Charmante épouse courroucée,
Ne crains plus rien pour ma vertu:

Je ne regarde que la statue
De Mademoiselle de Montpensier.
LE DÉFILÉ
Au bruit du trombone et des fifres de buis
Le régiment bleu passe
dans la rue;
Margot t'a plumé comme une recrue,
Marquis.
La femme de l'adjoint se penche à la fenêtre
Et son pauvre coeur bat
comme un tambour;
La femme de l'adjoint regarde tour à tour
Les
jeunes officiers paraître et disparaître.
Soeur Anne, soeur Anne, ne vois-tu rien venir?
La Margot t'a plumé
comme un dindon charmant;
Mais quoi, voici passé le régiment
Et
Madame est prête à s'évanouir:
Où donc es-tu, lieutenant?
MONSIEUR ANGOT

La lune est tout en haut du peuplier
Et tu attends en vain ta belle,
nigaud;
La lune est tout en haut du peuplier
Et Monsieur Angot
monte à sa tour
Pour la mieux regarder:
Est-il pointu, rond ou carré,

Est-il de soie ou de velours
Ou de papier,
Le bonnet de Monsieur
Angot?
Avez-vous bien dormi, chère jolie?
L'aubergiste déjà réclame notre
écot;
La lune est loin, le rossignol d'amour s'est tu
Et Monsieur
Angot ronfle dans son lit:
Avez-vous bien dormi, chère jolie?

Assurément il est pointu
Le bonnet de coton de monsieur Angot.
Votre coeur ce matin est-il triste ou léger?
Faut-il que nous allions
songer sous la charmille
Où le corbeau
Déchire son gosier de
parchemin,
Faut-il encore aller songer?
Mais quoi? pleuvra-t-il
aujourd'hui, fera-t-il beau,
Ma mie?
Monsieur Angot nous le dira
demain.
LE POULET AU BOUT DE LA FICELLE
Le poulet tourne au bout de la ficelle,
Le poulet qui pend
Sur le
bois qui fume;
Le poulet tourne au bout de la ficelle
Et la plume

Tourne au vent.
Le bruit de la fusillade se fait si faible
Qu'on ne l'entend plus qu'à
peine;
Brigadier Fricard et toi Bridaine,
Toastons;
Nul poème

Ne vaut cette volaille entre ces trois bâtons.
Et des buveurs de bière, foin!
Le fin canon de France leur répond;

Fricard, est-ce que la vie t'importune?
Encore un peu de ce vieux vin

De Moselle exquis,
Encore un peu de ce chapon,
Puis nous dormirons sous la lune,

Vous deux rêvant de blonde ou brune,
Mais moi, de qui?...
GOOSSENS

Déjà la nuit ...
Dans l'albâtre luit
Le filament d'or cramoisi;
Où
sommes-nous?
Tout s'assoupit:
La pelote
De fil tombe sur vos
genoux
Et le pois sans cosse
Roule sur le tapis
D'Asie;
Déjà la
nuit ...
Sur le clavier jauni
Une musique délicieusement fausse
De
Goossens s'éveille note à note;
Où sommes-nous? A Londres,
Chandernagor
Ou Singapour?
La main délicate et chérie
Continue

Et les doigts fous courent plus vite;
Mais soudain trouant le décor
Et faisant tressaillir la trop sonore vitre,
Avec un lointain roulement
sourd,
Le dernier autobus traverse l'avenue
Montsouris.
SUR LE QUAI
La bise qui nous soufflait au nez
Depuis le Pont-Neuf jusqu'à
Notre-Dame,
Ce soir d'hiver, chère, vous suffoquait;
Était-ce
endroit choisi pour une promenade
D'amoureux étonnés,
Ce quai?
Surtout quand le poumon est en capilotade
Comme le vôtre hélas!
comme le mien aussi;
Mais n'est-ce le moindre souci
Auquel on
s'attarde,
Lorsqu'Amour, ce traître, bat le briquet?
Paysage fin et mélancolique,
Certes je t'ai toujours aimé,
Avec tes
chalands se berçant sur l'eau,
Tes feuilles qui s'en vont au vent
tourbillonnant,
Tes vieilles maisons aux toits inégaux,
Tes boîtes de
bouquinistes fermées
Et la boutique de musique
De Monsieur
Pugno,--
Mais maintenant?...
MONSIEUR DE LA GANDARA
La lune se lève sur le marronnier,
Monsieur de La Gandara rêve au
Luxembourg;
La lune se lève sur le marronnier
Et monsieur de La
Gandara la regarde;
On entend au loin battre le tambour
De garde.
Dans la douceur de ce soir printanier
Le vent léger transporte une
odeur de lilas;
Le sergent de ronde fait sonner ses clefs;
Les couples

s'isolent dans les allées
Et monsieur de La
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