Humoresques | Page 7

Tristan Klingsor
Gandara qui s'attarde
A
contempler la couleur rose-thé
Des balustrades,
A son tour s'en va.
De sorte qu'au fond du vieux parc déserté
Où le fantassin de la
République
Veille et s'engourdit,
Les belles reines de marbre,

Droites et mélancoliques,
Restent seules à rêver du temps jadis,
Au
clair de lune sous les arbres.
L'OISEAU DE BOIS
Dans la nuit sans lune un lumignon file
Comme une étoile,
Et
pendu sous l'oiseau mobile
De bois mince et de toile,
Un homme
veille sur la ville.
La rose jaune de Fontenay
Dans le verre agonise;
Le bon bourgeois
est en chemise
Bougeoir en main et blanc bonnet
De coton sur la
tempe grise.
Et tandis que l'oiseau lourd et merveilleux plane,
Dans mon lit une
fois encore je me tourne,
Et comme au temps du vieil Haroun
Je
rêve d'une fine princesse persane
Aux yeux obliques de velours.
ENVOI
Prince, la rose d'avril peut
Refleurir au bord de la route
Et le ciel
être gris ou bleu:
Il ne passe qu'ânes qui broutent.
Le rossignol peut sangloter d'amour
Et quelqu'un peut chanter tour à
tour
Sa peine, sa joie ou son doute:
Personne n'écoute.
Chacun me déboute:
Qui donc aurait cure
D'une bourse mince
Et
d'un coeur obscur,
Hormis vous sans doute,
Prince?
CHANSONS DE BONNE HUMEUR
BONJOUR MONSIEUR

Bonjour Monsieur, comment va votre femme?
Fort bien? Tant mieux.

Savez-vous que les roses se fanent
Autour du rameau trop vieux?

Bonjour Monsieur.
Savez-vous que la robe bleue
Est froissée et le ruban blanc fripé?

Courez vite chez le drapier,
Même s'il vente, même s'il pleut:

Courez donc, Monsieur.
Mais du reste, de la dragée, du mimosa,
Un autre se chargera mieux;

Mais du reste, du baiser et cætera,
Un autre se chargera:
Bonjour
Monsieur.
LE TENDRE RAILLEUR
Qu'un étudiant brandebourgeois
Donne une sérénade de basson
Ou
de hautbois
A la femme d'un vieux barbon,
En quoi cela vous
touche-t-il, en quoi?
Que j'ai une larme au bout de mes cils
Ou le coeur en joie,
Que je
me moque ou bien que j'aime,
Que je me taise ou que j'écrive un
poème,
En quoi cela vous touche-t-il,
En quoi?
CHANSON DE MONSIEUR BENOIST
Fera-t-il beau temps, pleuvra-t-il?
Prends ta canne, Monsieur Benoist;

Fera-t-il beau temps, pleuvra-t-il?
Qui le sait? ni pape, ni roi;

Prends ta canne de bois
Des îles.
Qui peut savoir où le vent file?
Bon courage, monsieur Benoist;
Qui
peut savoir où le vent file?
Rêve de femme est plus subtil;
Prends ta
canne de bois
Des îles.
Que femme au retour crie ou danse,
Bon courage, Monsieur Benoist;

Que femme au retour crie ou danse,
Prends ta pipe, Monsieur
Benoist.
Prends ta pipe de bois
De France.

CHANSON DE LA MERLUCHE
Quand je n'ai pas de sole
Point ne suis-je assez fol
Pour faire
bouche fine:
Quand je n'ai pas de sole
Je mange une merluche.
Certes l'eau de la cruche
Ne vaut point chopine
De vin du Rhin;

Mais un liard vaut mieux que rien
Et Margot dans un lit
Vaut bien
la plus jolie
Dauphine.
OÙ LE COQ A-T-IL LA PLUME?
Où le coq a-t-il la plume?
Pas au bout du bec;
Le bois n'est pas sec,

La cheminée fume;
Où le coq a-t-il la plume?
Dans les doigts de la servante
Qui l'arrachent au croupion bleu;
Où
le coq a-t-il la plume?
L'eau dans la marmite chante
Sur le feu.
Où le coq a-t-il la plume?
Sur le vieux volant de bois
Qu'on jette
jusqu'en haut
Du toit;
La cheminée fume
Et la soupe bout sans
bruit dans le pot:
Où le coq a-t-il la plume?
LE BOURGEOIS DE DREUX
Pinte de bon sang
Vaut pinte de vin bleu;
Laquelle veux-tu, paysan?

Les deux.
Dinde en un plat creux
Vaut dinde à travers champs;
Que choisis-tu
marchand?
Les deux.
Servante au joli cou
Vaut bourse d'homme heureux;
Que gardes-tu,
grigou?
Les deux.
Et c'est ainsi que devant l'oignon cru
Riaient la fille et le bourgeois de
Dreux,
A l'auberge des deux
Écus.
CHANSON DU ROI DE PRUSSE

Si le roi de Prusse l'avait voulu,
Vieux merle en habit noir de veuf

Posé sur une branche de bouleau tremblant,
Tu serais blanc
Comme
un écu
D'argent tout neuf,
Si le roi de Prusse l'avait voulu.
Si le roi de Prusse l'avait voulu,
Vieux baudet d'Espagne perclus,
O
chère vieille bourrique
D'Andalousie,
Tu serais aussi droit qu'un i

Sous les coups de trique,
Si le roi de Prusse l'avait voulu.
Si le roi de Prusse l'avait voulu
Lanturlu,
Cher escargot gris
Tu
n'aurais plus de cornes,
Ni toi non plus
Pauvre vieux mari
Qui ris
jaune,
Si le roi de Prusse l'avait voulu.
AU JOLI JEU DES FOURBERIES
Amour donne une joie
Pour cent chagrins,
Mais le redire mille fois

Ne sert de rien.
Amour fait voir le noir blanc
Comme liseron;
Toujours les filles se
prendront
Aux becs des galants.
Toujours les garçons seront pris
Aux sourires des filles;
Au joli jeu
des fourberies,
Tous les coeurs servent de quilles.
Et moi tout grison que je sois,
Je ne suis point guéri de la vieille folie

Et je voudrais aimer une dernière fois:
Toute douleur s'oublie

Pour cette joie.
BONJOUR OLIVIER
Bonjour Olivier.
Avez-vous bien dormi?
Le chat s'étire dans le
grenier,
Le brouillard se lève sur la Loire,
Le pêcheur jette
l'épervier,
Et tout le monde ouvre les yeux, hormis
Les loirs.
Bonjour Olivier:
Le matin frais argente la colline
Et l'herbe au
soleil verdoie;
L'écureuil sur le hêtre essuie
Sa moustache fine
Et

le coq de bruyère a traversé le bois;
Mais où est donc votre fusil?

Chasseriez-vous autre gibier?
La tendre femme du meunier
En sa maison de farine
Attend-elle
votre arrivée?
Courez vite: le mari
S'en va sur
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