Humoresques | Page 5

Tristan Klingsor
du Luxembourg jusqu'à
notre terrasse
L'odeur des marronniers fleuris.
LE NAIN
Je venais d'allumer mon feu de bois sec
Et de m'asseoir de fort
indolente sorte
Dans mon vieux fauteuil de velours d'Utrecht
Quand
on gratta doucement à ma porte.
«Est-ce toi, dis-je, ma douce Colombine,
Fluette fée en robe à vertes
dentelles,
Ou toi, sire Arlequin de triste mine,
Qui viens céans
rallumer ta chandelle?»
Mais ce n'était ni Colombine, ni son duc,
Ni même quelque oiseau
déplumé d'Edgar Poë:
La porte s'ouvrit à mon nain caduc
Qui avait
une mitre pour chapeau.
Il portait sous le bras quelque volume
Énorme à reliure de parchemin,

L'histoire de Krespel ou d'Ulalume
Sans doute, à fermoir d'or et
filet de carmin.
Il le posa sur un livre d'André Gide;
(C'était d'adorables _Chansons
de Bilitis_);
Il regarda narquois mon encrier vide;
Ota sa mitre

mirobolante et sortit.
DEVANT L'OBÉLISQUE
Dimanche: bon Parisien va-t-en
Rêver d'amour
Vers Auteuil ou le
Point-du-Jour:
Le bateau-mouche t'attend.
Voire file jusqu'à Meudon
Ou Saint-Cloud;
Feuille morte au bois
est mol édredon
Et Madame n'a pas peur du loup.
Le brouillard bleu de Seine argente les collines;
Le paysage est
exquis
Comme un croquis
De Stanislas Lépine.
Déjà l'agile violoniste
Frotte l'archet de colophane;
Dans les yeux
clairs mi-clos des femmes
Un éclat singulier persiste.
La cloche sonne
Pour l'embarquement;
Allez les belles et les
amants:
Sur le ponton ne reste-t-il personne?
Clique amoureuse, adieu: mieux vaut laisser ici
Tout seul devant
l'obélisque
Le birbe barbu, certes! mais trop triste
Que je suis.
LES TROIS ÉCUS
Il n'y a qu'un coquelicot dans le pré
Avec trois marguerites autour;

Il n'y a qu'un coquebin dans le bourg
Pour trois filles à marier.
Ainsi s'en va la République, tout cloche:
Que de fois hélas! que de
fois
Je n'ai eu qu'un écu en poche
Quand il en fallait trois.
LA FLEUR SÈCHE
J'avais ouvert un vieux bouquin poudreux
De _Poèmes anciens et
romanesques_, ce matin,
A la page marquée d'une fleur sèche de
thym,
Que nous avons, chère souris, souvent lue tous deux.

Je rêvais doucement de celle
Que tu sais bien et qui partit je ne sais
où,
Séduite sans doute par l'escarcelle
D'un vieil amoureux radoteur
et fou.
Je regardais la lune au travers des branches
D'un cerisier mort qu'on
n'a pas abattu,
Quand la bise, je crois, ou ma manche
Tourna la
page rongée par tes dents pointues.
Est-ce le simple froissement du papier,
Ou quelque autre mystérieuse
cause,
Qui te fit sauver ainsi, à pieds
Légers, à pieds fourrés de bas
gris et roses?
Est-ce cela vraiment? Ou d'avoir vu la lumière
Hésitante du jour qui
se lève,
Qui te fit fuir, chère souris coutumière,
Comme mon rêve,
comme mon rêve ...
JEUX D'EAU
Les jeux d'eau dans le parc et la ribambelle
Des fous,
Le coeur
troublé des belles
Et le coeur ironique et tendre qui bat sous
Le gilet
de velours de Maurice Ravel,
L'inquiète qui rougit sous l'ombrelle

Et le gredin qui se met à genoux
Devant elle,
La guitare fausse que
joue
Un doigt rebelle,
La vasque, le vieil arbre, la cascatelle
Et
l'arc fin de lune dans le soir d'août,
Tout cela dans mon souvenir
infidèle
En accord très doux
Se mêle ...
SUR L'AVENUE MONTSOURIS
Le petit jour est gris souris;
La chiffonnière avec sa hotte
Cherche
un trésor dans l'avenue
Montsouris;
La bique maigre et biscornue

Du maraîcher trotte
Sur le pavé.
Ma jolie voisine déjà levée
A sa croisée paraît
Et le coeur tendre
qu'en vain j'offre
Bat plus fort sous l'étoffe
Vraiment trop mince du
gilet:
Aimerai-je de la sorte et sans halte

Jusqu'au dernier souffle?


Le jour devient couleur de craie
Et cette belle qui par-dessus tout
me plaît
De sa fenêtre peut voir sur l'asphalte
Le poète Klingsor
avec sa boîte au lait
Et ses pantoufles.
FRANCIS JAMMES
Il a plu. Le matin sourit
A travers ses pleurs;
La grenouille saute
dans l'étang
Et sur un roseau droit du Christ,
Le beau
martin-pêcheur
En habit bleu clair à la hussarde,
Avec son plumet
rouge éclatant,
Monte la garde.
Francis Jammes, dormez-vous encor?
Le joli lièvre roux
Essuie la
fine pluie
De ses moustaches
Et le vieil âne à l'oeil humide tâche

D'attraper enfin la fleur d'or
Du pissenlit:
Francis Jammes, Francis
Jammes, dormez-vous?
Il n'est plus un grelot de mule qui se taise
Et ne fasse un concert
féerique
Sous l'accompagnement sourd des coups
De trique;
Il
n'est plus un soulier du cordonnier d'Orthez
Qui ne résonne sur le
pavé;
Ah! l'heure n'est plus de rêver
Du cousin des Indes ou
d'Amérique:
Francis Jammes, Francis Jammes, dormez-vous?
DU BOUT DE LA RUE DU BAC
Du bout de la rue du Bac
Je regarde le paysage printanier,
Les
bateaux bleus dans l'eau vert pomme,
Les linges clairs des mariniers,

Le Louvre rose du vieux Roi,
Et sur
Saint-Germain l'Auxerrois

Un ciel aussi fin qu'un tamis d'azur;
Du bout de la rue du Bac
Tout
paraît pur;
Tout est paré de couleurs vives comme
Une aquarelle de
Signac.
Bateliers, bateliers, pourquoi donc partez-vous?
Ce paysage ne peut-il
suffire?
Laissez le gouvernail et le souci
Et vous, charmantes mains,
laissez les clés;
Le temps fera le ton de ces pierres plus doux,
Mais
je ne serai plus hélas! ici
Pour regarder cette eau couler,
Ni ma folle

jeunesse s'enfuir.
RÊVERIE D'AUTOMNE
Monsieur le professeur Trippe
A son gibus de poil de lièvre
Et sa
redingote noire qui se fripe
Sur son maigre derrière.
Monsieur le professeur est assis
Sur le banc vert du jardin anglais

Et tourne ses pouces d'encre noircis
Sur son
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