rivière Tatsouta avec ses rapides, charriant des feuilles de momiji.
L'anecdote était racontée par Bountchô à Tanéhiko.]
Hokousaï avait la manie de changer perpétuellement d'habitation et ne
demeura jamais plus d'un ou de deux mois dans le même endroit.
Hokousaï mourut le 13 avril de la deuxième année de Kayei (1849)[4],
à l'âge de 90 ans. Il fut enterré au cimetière du Temple Seikiôji, dans le
quartier de Hatchikendera-matchi à Asakousa, où se lit encore son
épitaphe.
[Note 4: Erreur. Hokousaï mourut le 10 mai 1849.]
La poésie de la dernière heure, qu'il laissa en mourant, fut celle-ci,
presque intraduisible en français:
«Oh! la liberté, la belle liberté, quand on va aux champs d'été pour y
laisser son corps périssable»[5]!
[Note 5: Je donne une traduction plus littérale d'Hayashi de «cette
poésie de la dernière heure» au chapitre de la mort d'Hokousaï.]
Hokousaï eut trois filles, dont la plus jeune devint un peintre très habile.
Elle épousa Minamisawa, mais divorça. Des nombreux élèves qu'eut
Hokousaï, ceux dont les noms furent inscrits dans les chronologies, et
connus du public, montent à seize ou dix-sept.
En 1860, j'ai découvert, et publié d'après le manuscrit des Séances de
l'Académie Royale de Peinture, provenant de la bibliothèque d'un
portier, ramassée sur les quais, la biographie inédite de Watteau par le
comte de Caylus: biographie qu'on croyait perdue et qui manque aux
MÉMOIRES INÉDITS SUR LES MEMBRES DE CETTE
ACADÉMIE, éditée en 1854. Aujourd'hui je donne pour la première
fois, dans une langue de l'Europe, la biographie inconnue d'Hokousaï,
le plus grand artiste de l'Extrême-Orient.
Pour la biographie de ce grand peintre de l'Extrême-Orient,
complètement inconnue en Europe, cette brève notice était quelque
chose, mais ce n'était vraiment pas assez.
C'est alors que, dans la patrie d'Hokousaï, se publiait par le Japonais
I-ijima Hanjûrô: Katsoushika Hokousaï dén, une biographie du peintre,
illustrée de dessins et de portraits, contenant des renseignements du
plus haut et du plus intime intérêt.
Or, la traduction de cette biographie japonaise, était-ce suffisant encore
pour faire connaître l'Homme et son OEuvre? Non! Il fallait tenir entre
ses mains cette oeuvre presque complète,--et, soit au Japon soit en
Europe, il n'existe cette oeuvre, je crois, que chez Hayashi qui, depuis
nombre d'années, collectionne son peintre favori. C'est donc sur cette
oeuvre, contenant les impressions les plus belles, les petits livres les
plus rarissimes, les illustrations des romans, en 90 volumes, les plus
complètes, les dessins les plus authentiques, que j'ai pu écrire cette
biographie, aidé de l'érudition de ce compagnon de travail qui s'est mis
obligeamment à ma disposition et qui, dans de longues et laborieuses
séances où j'ai eu l'idée de lui faire traduire les préfaces que Hokousaï a
jetées en tête de ses albums, m'a fourni toute la documentation ne se
trouvant pas dans le Katsoushika Hokousaï dén, ou dans le Oukiyôyé
Rouikô[6] de Kiôdén.
Auteuil, 20 décembre 1895.
EDMOND DE GONCOURT.
[Note 6: Voici la décomposition des cinq mots Oukiyoyé Rouikô: Ouki
«qui flotte, qui est en mouvement»--yo «monde»--yé «dessin» --roui
«même espèce»--kô «recherche». Et rouikô, devenu un seul mot,
signifie: «Étude d'ensemble d'une même espèce de choses.»]
HOKOUSAÏ
I
Dans les deux hémisphères, c'est donc la même injustice pour tout
talent indépendant du passé! Voici le peintre qui a victorieusement
enlevé la peinture de son pays aux influences persanes et chinoises et
qui, par une étude pour ainsi dire religieuse de la nature, l'a rajeunie, l'a
renouvelée, l'a faite vraiment toute japonaise; voici le peintre universel
qui, avec le dessin le plus vivant, a reproduit l'homme, la femme,
l'oiseau, le poisson, l'arbre, la fleur, le brin d'herbe; voici le peintre qui
aurait exécuté 30 000 dessins ou peintures[7]; voici le peintre qui est le
vrai créateur de l'Oukiyô yé[8], le fondateur de l'ÉCOLE VULGAIRE,
c'est-à-dire l'homme qui ne se contentant pas, à l'imitation des peintres
académiques de l'école de Tosa, de représenter, dans une convention
précieuse, les fastes de la cour, la vie officielle des hauts dignitaires,
l'artificiel pompeux des existences aristocratiques, a fait entrer, en son
oeuvre, l'humanité entière de son pays, dans une réalité échappant aux
exigences nobles de la peinture de là-bas; voici enfin le passionné,
l'affolé de son art, qui signe ses productions: fou de dessin... Eh! bien,
ce peintre--en dehors du culte que lui avaient voué ses élèves,--a été
considéré par ses contemporains comme un amuseur de la canaille, un
bas artiste aux productions indignes d'être regardées par les sérieux
hommes de goût de l'Empire du Lever du Soleil. Et ce mépris, dont
m'entretenait encore hier le peintre américain La Farge, à la suite des
conversations qu'il avait eues autrefois au Japon avec les peintres
idéalistes du pays, a continué jusqu'à ces derniers jours où, nous les
Européens, mais les Français en première ligne[9], nous avons révélé à
la patrie d'Hokousaï le grand artiste
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