Hokousaï | Page 2

Edmond de Goncourt
lorsqu'il a paru, a eu la bonne fortune, non seulement
d'exciter l'admiration de ses confrères les peintres, mais encore de
séduire le gros public, tant il était une nouveauté particulière.
Durant les années de l'ère Kwanseï (1789-1800) Hokousaï écrit de
nombreux contes et romans pour la lecture des femmes et des enfants:
romans dans lesquels il fit lui-même des illustrations, romans où il
signe comme écrivain Tokitaro-Kakô, et comme peintre
Gwakiôjin-Hokousaï. Et ce fut grâce à ses pinceaux spirituels et précis
que les contes populaires et les romans commencèrent à se répandre
dans le public.
Il fut aussi un excellent poète dans la poésie Haï-Kai (poésie
populaire).

Dans ce temps, il habita Asakousa où de nombreux élèves-peintres de
Kiôto et d'Ohsaka vinrent le trouver et entrèrent dans son atelier, et,
dans ce temps où il y avait bien des peintres dans les villes de Nagoya,
de Kiôto, d'Ohsaka, aucun ne put le surpasser.
C'est alors que sortent, de dessous ses pinceaux, des livres ou modèles
de gravures, et des impressions, et des dessins innombrables.
Bientôt (c'est l'habitude là-bas, pour les peintres, de changer
perpétuellement de noms), le maître léguait sa signature d'Hokousaï à
un de ses élèves qui tenait un restaurant dans le Yoshiwara, le quartier
des maisons publiques, et qui peignait dans son établissement des
peintures de 16 ken (32 mètres) chaque fois que Hokousaï faisait
l'ouverture de réunions d'artistes pour l'adoption de nouvelles
signatures.
À partir de ce temps, il signa ses impressions Sakino Hokousaï, Taïto
(ancien Hokousaï Taïto). Il changea encore une fois son nom propre et
s'appela Tamé Kazou ou I-itsou.
N'ayant pas eu assez de temps pour donner les modèles de la peinture à
ses élèves, il en fit graver des volumes qui, plus tard, obtinrent
beaucoup de succès.
Il fut encore très habile dans la peinture dite Kiokou yé, peinture de
fantaisie, faite avec des objets ou des services de table trempés dans
l'encre de Chine, tels qu'une boîte servant de mesure de capacité, des
oeufs, des bouteilles[1].
[Note 1: Hokousaï affirmait par là que l'exécution d'un beau dessin ne
tient pas aux instruments de la peinture, à d'excellente pinceaux, mais
est tout entière dans l'art de dessiner du peintre.]
Il peignait encore admirablement bien avec sa main gauche, ou bien de
bas en haut. Et sa peinture faite au moyen des ongles de ses doigts était
tout à fait étonnante et, quant à ce fait particulier, il fallait être témoin
soi-même du travail de l'artiste, sans quoi on eût pris ses peintures à
l'ongle pour des peintures faites avec des pinceaux.

«Après avoir étudié, dit-il quelque part, pendant de longues années, la
peinture des diverses écoles, j'ai pénétré leurs secrets et j'en ai recueilli
tout ce qu'il y a de meilleur. Rien n'est inconnu pour moi en peinture.
J'ai essayé mon pinceau sur tout, et je suis parvenu à réussir tout.» En
effet, Hokousaï a peint depuis les images les plus vulgaires, nommées
Kamban[2], c'est-à-dire les images-réclames pour les théâtres
ambulants, jusqu'aux compositions les plus élevées.
[Note 2: Kamban, me dit Hayashi, n'est que l'enseigne ou l'affiche d'un
marchand quelconque.]
Ses productions furent même très recherchées par les étrangers, et il y
eut une année où l'on exporta ses dessins et ses gravures par centaines,
mais presque aussitôt cette exportation fut défendue par le
gouvernement de Tokougawa.
Durant les années de l'ère Témpô (1830-1843), Hokousaï publia, en
nombre immense, des nishikiyé, impressions en couleur, et des dessins
d'amour ou images obscènes, dites shungwa, d'une coloration
admirable, qu'il signait toujours du pseudonyme de Goummatei.
Le plus grand honneur que cet artiste obtint, durant sa vie, fut que sa
célébrité parvint jusqu'à la cour de Tokougawa, et qu'il put étaler son
talent sans rival devant le grand prince. Une fois, pendant que le
shôgoun faisait sa promenade dans la ville de Yédo, Hokousaï fut invité
par le prince à peindre devant lui. Et, sur une immense feuille de papier,
avec une brosse à colle, il commença d'abord à tracer des pattes de coq,
puis, transformant soudainement le dessin par une couleur d'indigo mis
sur les pattes, il en faisait un paysage du fleuve Tatsouta qu'il présentait
au prince étonné[3].
[Note 3: Hayashi s'indigne de la mauvaise traduction de ce passage, et
me communique la note suivante: la suite d'un retour de chasse aux
faucons, le Shôgoun sur sa route prit plaisir à voir dessiner deux grands
artistes du temps, Tani Bountchô et Hokousaï. Bountchô commença et
Hokousaï lui succéda. Tout d'abord il dessina des fleurs, des oiseaux,
des paysages, puis, désireux d'amuser le Shôgoun, il couvrit le bas
d'une immense bande de papier d'une teinte d'indigo, se fit apporter par

ses élèves des coqs, dont il plongea les pattes dans la couleur pourpre,
les fit courir sur la teinte bleue, et le prince eut l'illusion de voir la
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