Histoires Grises | Page 5

E. Edouard Tavernier
sous et de la consid��ration.
Au march�� il p��n��tra encore sous l'oeil de l'agent et se rendit �� la boutique de la boucherie par o�� la cuisini��re lui avait dit d��buter. Il n'attendit pas. Elle le reconnut �� peine, mais n'h��sita pas �� lui confier ses paniers. Comme la veille, ils firent ensemble le tour des ��talages, lui attendant en silence pendant les pourparlers, se contentant d'approuver du coin de l'oeil les arguments de la femme quand elle se plaignait qu'on l'��corchait. En route pour le tramway, ils ��chang��rent encore quelques paroles. Elle lui apprit qu'elle servait dans un institut de demoiselles, qu'il y avait plus de dix-huit personnes �� table, que les pensionnaires ��taient de familles riches et beaucoup d'autres d��tails lesquels, en d��pit de tout l'int��r��t qu'il montrait, ��taient compl��tement indiff��rents �� Plutarque. Sur le refuge, elle eut une remarque d��sagr��able:
- Je vous ai donn�� un franc hier; c'��tait la premi��re fois, mais c'est beaucoup.
- Je sais bien, r��pondit-il, c'est beaucoup de bont�� de votre part; tout de m��me, si ?a ne vous faisait pas d��faut �� vous, on a tant de difficult��s...
La femme redonna vingt sous, ce qui cr��ait la fixit�� du tarif. Il fit encore passer les paniers sur la voiture apr��s avoir re?u son prix, ce qui constituait une sorte de service gratuit et de remerciement. Il enleva comme la veille sa casquette au moment du d��part et entendit une comm��re sur la plateforme qui soulignait son geste:
- Eh bien, Madame, j'esp��re que vous avez un porteur poli, c'est si rare aujourd'hui.
Cette remarque ��tant un hommage indirect �� la fa?on dont la bienfaitrice traitait son homme, elle dit plus gentiment que hier encore:
- A demain.
Cette fois Plutarque r��prima une v��ritable envie de rire. Ah! mais c'��tait un m��tier alors. A vrai dire, tous les jours -- car il faut bien qu'elles mangent les demoiselles -- il ��tait embauch��. Le soir, il retourna souper dans la m��me maison, chez un marchand de bois dont la nourriture l'avait satisfait; il coucha dans le m��me h?tel, et commen?a une vie toute diff��rente de celle qu'il tra?nait auparavant.
Les jours qui suivirent am��liorent encore sa situation. Il avait bient?t acquis la confiance de la vieille, faisait avant son arriv��e le tour des boutiques, voyait la marchandise et s'enqu��rait des prix. Les marchands ne l'aimaient pas, mais l'estimaient. La cuisini��re, en arrivant, ��coutait son rapport; m��me quelquefois lui laissait de petites sommes pour profiter des premi��res occasions le lendemain. Il s'acquittait consciencieusement de ces missions de confiance, ne majorant les prix que dans une proportion tr��s modeste, tr��s admise, sous le nom d'escompte, par le personnel achetant d'ordinaire.
Il s'��tait d��brouill�� aussi dans l'organisation de sa vie. Pour la nourriture, il avait obtenu d'aider au service le soir, moyennant quoi on lui donnait pour rien, �� la fermeture de l'��tablissement, un repas, c'est-��-dire une soupe chaude, un peu de restes, une miche et souvent un verre de vin. A l'h?tel, il balayait et arrosait tout le second ��tage r��serv�� aux gens de passage et l'escalier en entier; ce service ��tait r��mun��r�� par le droit de coucher dans un lit v��ritable, dans la chambre �� deux lits de la bonne. Plutarque y dormait seul la plupart du temps; sa compagne apportant une r��gularit�� surprenante dans l'irr��gularit�� d'une conduite agit��e, d��couchait presque toutes les nuits. Rapidement il ��tait redevenu l'homme d'un certain ordre. Il montait se coucher aussit?t son souper mang�� et son travail fini. Sa chambre ��tait l'objet de soins minutieux, toujours balay��e et arros��e, m��me les affaires de sa compagne ��taient mises en place par lui -- c'��tait le seul moyen de n'en pas ��tre encombr�� --. La cuvette de zinc avait ��t�� garnie de bouts de corde d��chiquet��s, en telle sorte qu'elle pouvait encore parfaitement servir. Une caisse, au pied de son lit, avait re?u des charni��res et un cadenas: c'��taient "ses affaires". Pour le moment elle ne contenait gu��re que des aiguilles, du fil et un bout de savon, mais Plutarque fermait son bien le matin en sortant et emportait sa clef. Quand il rentrait, il comptait son avoir. Assis sur son lit il d��nouait, entre ses jambes, un bout de chiffon qui renfermait sa fortune. Ses ��conomies augmentaient, il s'��tait impos�� de ne d��penser que la grappille; tous les soirs, il ajoutait au moins son franc, et les choses allaient assez bien, puisqu'en payant un repas de midi, un peu de tabac et quelques verres, -- en ne se refusant pas grand chose -- son gain r��gulier s'amassait.
La pens��e lui venait d'acheter des v��tements. Plusieurs courses chez les fripiers des environs lui donnaient une id��e exacte du prix des choses. Trois objets le sollicitaient; d'abord des souliers, sur les siens les pi��ces ne tenaient plus bien; ensuite une chemise, la sienne, en lambeaux et moisie par place, aurait gagn�� ��
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