assis devant un vin blanc, lorsqu'un souvenir lui revint. Un ancien camarade �� lui, du temps o�� il ��tait ��tudiant, le fils d'un notaire de Provence, s'��tait ��tabli cr��mier dans ce quartier, apr��s un mariage assez dr?le avec Ginette, une grande brune qui allait au Bullier. Celui-l�� avait h��rit�� cinq mille francs d'une tante; la fille, qui avait le sens de la vie, avait exig�� l'abandon des carri��res lib��rales, en telle sorte que son ��poux n'avait descendu que de quelques crans. Plutarque n'avait pas id��e de l'endroit o�� se trouvent la boutique, il avait appris seulement que les affaires de son ami marchaient et que Ginette avait eu deux jumelles. Cette possibilit�� de les rencontrer ��tait encore trop pour lui; il prit brusquement le parti de s'installer ailleurs et repartit aussit?t de ce pas lent, cadenc�� et rasant le sol qu'ont tous les chemineaux du monde.
Le petit jour piquait quand il s'approchait d'Auteuil. Il avait suivi les bords de la Seine. Une vague bu��e flottait sur le fleuve qui sentait la mar��e. Le froid du premier matin pin?ait. Plutarque se promena un moment, puis, sous le regard d'un agent de police, passa la porte du march��. Les boutiques ��taient d��j�� install��es. Les carottes, les choux, les salades et les petites bottes de radis ��taient bien rang��s dans les caisses de bois. Il y avait du poisson, de la boucherie, de la charcuterie, du gibier, du fromage, des fruits, des fleurs, des asperges en branche, de tout ce qui se mange, et en grande quantit��, de quoi faire crever des milliers de bedaines. Les vendeuses et les marchands parlaient doucement, ��taient s��rieux; on sentait toute la gravit�� de ces actes de vendre et d'acheter pour ce petit peuple de travailleurs.
Comme Plutarque ��tait en train de consid��rer un chapelet de saucisses, se demandant si on les mangeait crues et si on les vendait au d��tail, il s'entendit appeler:
"Dites, l'homme, vous voudriez pas m'aider?..."
C'��tait une grosse cuisini��re d��j�� vieille, une large figure ��paisse et r��sign��e. Elle portait un panier plein sous un bras et deux autres vides dans une main. Plutarque la d��barrassa du tout et la suivit �� travers les petites all��es, pendant qu'elle tatait, marchandait et quelquefois achetait. Son march�� dura bien une heure. Plutarque s'��tonnait qu'on p?t avoir besoin de tant, m��me dans une grosse maison. Il en avait bient?t plein sa charge et avait d? enlever sa ceinture pour tenir deux fardeaux dans une main.
- Maintenant c'est fini, dit la femme, suivez-moi.
Et elle le dirigea non loin de l�� vers le centre de la place d'o�� partait le tramway.
En marchant, elle se plaignait du prix des choses.
- Et encore vous avez vu la premi��re marchande, commentait-elle, voulait me les faire vingt-cinq sous!
Plutarque avait appris �� se mettre dans la peau des r?les; il r��pondit:
- Ne m'en parlez pas, c'est une mis��re, on ne sait plus, on ne sait plus... et on a bien du mal.
La femme aima cette humilit�� approbative; elle aima la pr��venance de son porteur parce que, de lui-m��me, il avait offert d'attendre le tramway pour faire passer les paniers. C'est pourquoi peut-��tre elle lui donna un franc.
Quand le v��hicule partit, Plutarque enleva poliment sa casquette. De l'imp��riale la femme lui cria:
- "Si vous ��tes l��, demain...
La magie des mots est telle que cette phrase le troubla. Jusque-l��, Plutarque avait fait la com��die de circonstance: comme il jouait le sans-travail assasin aux Champs-Elys��es quand la nuit venait, ou le pieux mendiant �� la porte des ��glises et la gouape le matin �� la sortie des cabarets, il savait faire le malheureux. Maintenant dans les derniers grincements et les appels du timbre qu'on entendait affaiblis, quand, au bout de l'avenue, le tramway n'��tait plus qu'une miniature semblable �� un jouet d'enfant, il restait �� arpenter le refuge.
Tant de temps s'��tait pass�� qu'on ne lui avait pas dit "�� demain". Cette id��e qu'on accrochait sa vie du jour �� celle qui viendrait, l'��tonnait d'abord; penser que la grosse femme ne s'��tait pas rendu compte de l'instabilit�� de ses occupations finit par l'amuser. Il en sourit pendant qu'il marchait.
La journ��e ��tait belle, il poussa une pointe jusqu'�� l'entr��e du Bois; derri��re un bouquet d'arbres, une petite pelouse le tenta; son sommeil avait du retard. Dans l'herbe encore humide, il s'allongea, la casquette sur la figure, la pointe des pieds en l'air; il s'endormit.
Dans l'apr��s-midi, �� la sortie des courses, il fit quatre francs. Le soir il s'offrit un bon petit d?ner et trouva non loin du march�� une chambre o�� pour vingt-cinq centimes on pouvait aller passer la nuit avec trois autres passagers: le luxe de dormir seul ne lui avait d��cid��ment pas assez r��ussi. Il se leva le dernier au matin, proposa au logeur de balayer la chambre et le couloir. Cette offre fut accept��e; on lui rendit deux
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