du mal, dit Pantafilando, faire du mal à un beau-père si tendrement aimé!
Que le ciel m'en préserve. Vous n'avez pas d'ami plus fidèle que moi, maintenant que mes
droits au trône de la Chine sont reconnus. Qu'est-ce que je demande, moi? la paix, la
tranquillité, le maintien de l'ordre et le bonheur des honnêtes gens.
Le prince Horribilis, plus tremblant encore que son père, avait écouté ce dialogue sans
mot dire; mais, quand il vit l'audace et le succès de Pantafilando, la colère lui donna du
courage, et il s'avança au milieu de la salle.
--Tu oublies, dit-il au géant, que la loi salique règne en Chine, et que la couronne ne peut
pas tomber aux mains de ma soeur qui n'est qu'une femme.
--Et moi, suis-je une femme? cria Pantafilando d'une voix de tonnerre. Viens, si tu l'oses,
ver de terre, me disputer cette couronne, et je te coupe en deux d'un seul revers.
A ces mots, il tira son cimeterre qui avait quarante pieds de haut, et que vingt hommes
robustes n'auraient pas pu soulever. Horribilis frémit et courut se cacher derrière le
ministre de la guerre, qui se cachait lui-même derrière le fauteuil de la princesse
Bandoline. Content de cette marque de frayeur qu'il prit pour une marque de soumission,
le géant dit d'un ton plus doux:
--Chinois et Tartares, puisque la divine providence a bien voulu m'appeler, quoique
indigne, au gouvernement de ce beau pays, je jure de remplir religieusement mes devoirs
de souverain, et je vous demande de me jurer à votre tour fidélité aussi bien qu'à mon
auguste épouse, la belle Bandoline.
--Nous le jurons, s'écria toute l'assemblée avec l'enthousiasme habituel en pareille
circonstance. Pierrot seul ne dit rien.
Le géant s'agenouilla et voulut baiser la main de sa fiancée; mais celle-ci, effrayée de se
voir unie à un pareil homme, ne put s'empêcher de se cacher le visage dans les mains en
pleurant.
--Ne faites pas la prude ni la mijaurée, s'écria Pantafilando, ou par le ciel! je....
--Que feras-tu? dit Pierrot d'un ton qui attira sur lui l'attention générale.
Jusqu'ici notre ami avait gardé un silence prudent. Au fond, il se souciait fort peu que
Vantripan ou Pantafilando régnât sur la Chine. Que me font leurs affaires? pensait-il.
Vantripan m'a nommé capitaine des gardes, et je suis prêt à me battre pour lui, s'il m'en
donne le signal; mais, s'il ne réclame pas mes secours, s'il se laisse détrôner, s'il aime
mieux la paix que la guerre, est-ce à moi de me faire estropier pour lui? Si les Chinois
supportent les Tartares, est-ce à moi de les trouver insupportables? Ces réflexions lui
firent garder la neutralité jusqu'au moment où il vit pleurer la belle Bandoline. C'est ici le
lieu de vous avouer une faiblesse de Pierrot.
Il était amoureux de la princesse. J'en suis bien fâché, car Pierrot n'était qu'un paysan, et
si l'on voit des rois épouser des bergères, on vit rarement des reines épouser des bergers.
L'amour ne raisonne pas, et Pierrot passait toutes les nuits où il n'était pas de garde à
veiller sur les fenêtres de la trop adorée Bandoline. Il l'aimait parce qu'elle était belle, et
aussi, sans qu'il s'en rendît compte, parce qu'elle était fille du roi et qu'elle avait de
magnifiques robes. Pierrot disait:
--Je suis capitaine, je serai général, je vaincrai l'ennemi, je conquerrai un royaume, et je
l'offrirai à la belle Bandoline avec ma main.
Il ne parla cependant pas de son projet à sa marraine, confidente ordinaire de ses pensées,
mais elle le devina.
--Le papillon va se brûler les ailes à la chandelle, dit-elle; tant pis pour lui! L'homme ne
devient sage qu'à ses dépens. Ce n'est pas moi qui ai fait la loi, mais je ne veux pas l'aider
à la violer.
L'amoureux Pierrot fut donc saisi d'indignation en voyant cette princesse adorée sur le
point de passer aux mains du géant. Dans un premier mouvement dont il ne fut pas maître,
il tira son sabre.
Pantafilando fut d'abord si étonné, qu'il ne trouva pas un mot à dire. Puis la colère et le
sang lui montèrent au visage avec tant de force, qu'il faillit succomber à une attaque
d'apoplexie. Son front se plissa et ses yeux terribles lancèrent des éclairs. Tous les
assistants frémirent; seul l'indomptable Pierrot ne fut pas ébranlé. La princesse jeta sur lui
un regard où se peignaient la reconnaissance et la frayeur de le voir succomber dans un
combat inégal. Ce regard éleva jusqu'au ciel l'âme de Pierrot.
--Prends le royaume de la Chine, le Tibet et la Mongolie, s'écria-t-il; prends le royaume
de Népaul où les rochers sont faits de pur diamant; prends Lahore et Kachmyr qui est la
vallée du paradis terrestre; prends le royaume du Grand-Lama si tu veux; mais ne prends
pas
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