Histoire fantastique du célèbre Pierrot | Page 7

Alfred Assollant

que j'annonce votre arrivée à ma maîtresse. Et elle disparut.

--Corbleu! dit le géant en passant sa langue sur ses lèvres, comme un chat qui lèche ses
babines après dîner, comment t'appelle-t-on, capitaine?
--Pierrot, seigneur.
--Corbleu! capitaine Pierrot, par le grand Mandricard mon aïeul, premier empereur des
îles Inconnues, voilà une jolie fille, et je veux lui faire plaisir. Holà! trois généraux! qu'on
me suive, et que tous les autres remontent à cheval et attendent mes ordres, la lance en
arrêt. Toi, Pierrot, montre-moi le chemin.
Pierrot ne se fit pas prier. Il entra dans la salle à manger, qui était aussi la salle d'audience
du grand Vantripan. La porte n'ayant que 60 pieds de haut, Pantafilando, qui marchait
sans précaution, se cogna le front contre le montant supérieur. Il entra en jurant
horriblement.
--Que mille millions de canonnades renversent ce palais sur la tête de ceux qui l'ont bâti
et de ceux qui l'habitent!... s'écria-t-il d'une voix si forte que toutes les vitres de la salle se
brisèrent en éclats.
--Diable! dit Pierrot, les affaires vont mal.
Vantripan était assis sur son trône. Sa famille était à ses côtés avec toute la cour; mais au
seul bruit de la voix de Pantafilando, toutes les dames s'enfuirent saisies d'une terreur
panique. Les courtisans auraient bien voulu suivre cet exemple; mais les portes étaient
trop étroites pour donner passage à tout le monde, et beaucoup furent forcés, ne pouvant
fuir, de faire contre mauvaise fortune bon coeur.
--Quel est l'officier de garde aujourd'hui! s'écria Vantripan d'une voix mal assurée.
--C'est moi, sire, répondit Pierrot qui avait repris tout son sang-froid.
--Quelle est la consigne?
--De couper le cou à tous ceux qui entrent ici sans permission.
--Eh bien, pourquoi n'as-tu pas coupé le cou à cet immense Tartare, et pourquoi laisses-tu
entrer ici le premier venu?
Pierrot allait répondre, le géant l'interrompit.
--Le premier venu! s'écria Pantafilando. Oui, certes, le premier venu de cent mille
Tartares qui n'attendent à ta porte que mon signal pour te casser en mille morceaux, toi et
ta ville de porcelaine et tes coquins de sujets, dont aucun n'ose me regarder en face.
--Prenez la peine de vous asseoir, monseigneur, dit alors Vantripan en présentant
lui-même son fauteuil au géant, et excusez l'incivilité de mes officiers qui ne vous ont
peut-être pas traité avec tous les égards dus à votre rang. Et, à propos, seigneur, à qui
ai-je l'honneur de parler?

--Ah! ah! vieux cafard, dit le bruyant Pantafilando, tu ne me connais pas, mais à ma mine
seule tu as deviné que j'étais un hôte illustre. Je suis le géant Pantafilando, si connu dans
l'histoire; Pantafilando, empereur des îles Inconnues, souverain des mers qui entourent le
pôle et des neiges qui couvrent les monts Altaï; Pantafilando, qui a conquis le
Beloutchistan, le Mazandéran et le Mongolistan; qui fait trembler l'Indoustan et la
Cochinchine; qui rend muets comme des poissons le Turc et le Maure, et devant qui la
terre frissonne comme l'arbre sur lequel souffle l'ouragan, pendant que l'Océan demeure
immobile de frayeur; je suis Pantafilando, l'invincible Pantafilando.
Durant ce discours, tous les assistants mouraient de peur. Pierrot seul regarda le géant
sans pâlir.
--Voilà, pensa-t-il, un grand fanfaron; mais sa barbe rousse, ses moustaches retroussées
en croc et sa voix de chaudron percé ne m'effrayent pas.
--A quel heureux événement devons-nous le plaisir de vous voir? dit Vantripan.
--Je viens te demander en mariage ta fille Bandoline, la Reine de Beauté.
--Je vous la donne avec beaucoup de plaisir, s'écria Vantripan. Elle ne pouvait pas trouver
un époux plus digne d'elle. Elle est à vous, avec la moitié de mes États.
--J'en suis enchanté, s'écria Pantafilando, et la dot ne me plaît pas moins que la fiancée.
Entre nous, mon vieux Vantripan, tu es un peu âgé pour gouverner encore un si grand
empire, et tu feras bien de prendre du repos. Dans une famille bien unie, un gendre est un
fils. Tout n'est-il pas commun entre un père et ses enfants? La Chine nous est donc
commune. Or, quand un bien est commun à deux propriétaires, si l'un des deux est
paralytique, c'est à l'autre de le remplacer dans l'administration de la propriété commune.
Tu es paralytique d'esprit, impotent de corps; donc, moi qui suis sain de corps et d'esprit,
je te remplace dans le gouvernement et dans l'administration du royaume. C'est un lourd
fardeau; mais, avec l'aide de Dieu, j'espère y suffire.
--Mais je ne suis pas paralytique, essaya de dire Vantripan.
--Tu n'es pas paralytique! dit Pantafilando feignant d'être étonné. On m'avait donc trompé.
Si tu n'es pas paralytique, prends ce sabre et défends-toi.
--Hélas! seigneur, dit tristement le pauvre Vantripan, je suis paralytique, étique et
phthisique si vous le voulez. Prenez mes États, mais ne me faites pas de mal.
--Vous faire
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