Histoire dun baiser | Page 3

Albert Cim
rangée et laborieuse a toujours été ma vie! Le travail! Le travail! Tel a toujours été mon seul réconfort, ma suprême joie! Vous le savez, vous tous, mes chers collaborateurs, etc.
Tous, en effet, le savaient et tenaient M. Hector Sédeillant pour le plus bienveillant des patrons, le plus équitable et le plus consciencieux des hommes. Tous l'aimaient, le vénéraient malgré sa jeunesse, ses trente-trois ans; tous s'évertuaient à le défendre au dehors, à disculper sa moralité et rétablir sa réputation.
Bien mieux, le banquier crut de son devoir et de son intérêt d'aller trouver le père Jeandin, pour lui présenter à la fois des excuses et des explications.
--Je t'accompagnerai, cela fera encore meilleur effet, lui déclara spontanément la fière Palmyre. Je verrai cette petite, je causerai avec elle et réussirai bien à lui faire oublier la... cette... le... malentendu, et à obtenir d'elle qu'elle revienne chez nous.
Ah! oui, elle en avait rabattu, la jalouse tigresse! Elle filait doux, à présent, était tout sucre et tout miel. Il le fallait bien. Il fallait bien lutter contre ce flot qui montait, montait, toujours et mena?ait de tout submerger. Nécessité fait loi.
Le père Jeandin, selon son rituel de chaque jour, passé neuf heures du matin, était entre deux vins, quand M. et Mme Sédeillant heurtèrent à la porte de son taudis.
--Ah! c'est pour ?a que vous venez, mon bon monsieur, et vous aussi, ma belle dame? Oh! fallait pas vous déranger pour si peu!... Certainement que je suis au courant.... Il ne se passe pas de jour que je ne re?oive des lettres, où on me raconte un tas de vilaines choses sur vous et not' Collette.... Des lettres de je ne sais qui!... Des bêtises! Tenez, v'là le cas que j'en fais de tous ces papiers-là!
Et il ponctua sa phrase par un geste tout à fait familier.
--N'empêche, reprit-il, que ces cancans-là ont causé bien du tort à not' Collette, un tort considérable! Oui, ma belle dame! Vous n'avez pas idée.... Elle ne travaille plus nulle part, on ne la demande plus comme avant, qu'elle avait tant de pratiques qu'elle ne savait comment s'y prendre pour les contenter. Elle ne pouvait pas aller chez toutes à la fois, pas vrai? Maintenant.... Ah! maintenant!... Je suis tout de même heureux de vous voir, parce que si... si c'était un effet de votre bonté... si vous pouviez... si peu que ce soit, mon bon monsieur! Ah! oui, les temps sont durs, allez!
* * * * *
Collette, qui n'avait rien osé dire à son père de l'algarade de Mme Sédeillant, mais n'avait pu lui cacher son renvoi de la maison du banquier, ni empêcher les lettres anonymes de lui parvenir, se trouvait, en effet, dans la plus précaire situation. Les paysans d'alentour n'étaient pas accourus, tous en foule, comme chez le banquier, lui réclamer l'argent qu'ils lui avaient confié, non; mais toutes les familles qui l'employaient, qui lui faisaient gagner son pain, lui avaient du jour au lendemain fermé leurs portes.
Pensez donc! Une fille qui débauche les hommes mariés!
Aussi accueillit-elle avec joie les bonnes paroles que lui adressa Mme Sédeillant, et c'est avec ravissement qu'elle consentit à reprendre ses ?journées? à l'h?tel.
Toujours afin de combattre la calomnie et détruire la légende qu'elle avait si inconsidérément fait na?tre, Mme Sédeillant installa en quelque sorte la jeune lingère à demeure auprès d'elle, en fit sa compagne, l'emmena chez ses fournisseurs, l'interrogeant devant eux, la consultant sur telle étoffe, telle coupe de robe, telle forme de chapeau... de sorte qu'on vit bien qu'elle n'avait aucune jalousie contre elle, nulle rancune à son endroit,--qu'il ne s'était rien passé.
Hélas! hélas! L'héro?que Palmyre en fut pour ses frais. Rien ne put endiguer la houle, mater et repousser le courant. Pourquoi toujours croire si volontiers au mal, si difficilement au bien?
Quinze mois jour pour jour après le chétif et misérable baiser dont M. Hector Sédeillant avait effleuré le cou de Colette, quinze mois après la scandaleuse sortie de la belle Mme Palmyre, le banquier déposait son bilan.
Quant à Mlle Colette, elle n'avait pas attendu si longtemps sa mise en faillite: il y avait huit mois déjà que la gentille petite avait faussé compagnie à son ivrogne de père et s'était fait enlever par un commis voyageur.

DUEL A MORT
A Pontsevrez.
Il y avait quinze jours que Félix-Séraphin Cabrillat était entré, en qualité de troisième élève, à la pharmacie Pichancourt, la plus importante de Chèvremont-en-Bresse, quand, un soir d'octobre, le timbre de la porte retentit, et une jeune fille, une mignonne petite blonde aux yeux bleus et aux joues roses, apparut tout essoufflée sur le seuil de l'officine. Cabrillat, qui était en train de découper des étiquettes, s'élan?a, comme c'était son devoir, à la rencontre de cette cliente. Mais le premier élève, Nestor Richefeu, qui, en principe, ne se dérangeait jamais, à moins qu'il ne s'ag?t, comme
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