Histoire dun baiser | Page 2

Albert Cim
elle-même, la pauvrette, avec quelques gains supplémentaires, qui avait acheté ces piètres bijoux chez Lacassagne, l'orfèvre du quai des Vergnes.
* * * * *
De la ville, la rumeur gagna bient?t la campagne environnante.
--Vous savez, M. Hector Sédeillant, le banquier de Saint-Servin? Para?t qu'il en mène une dr?le de vie! Ce n'est rien que de le dire! Il a des ma?tresses à tous les coins de rue, des filles qu'il couvre d'or! Sans compter une actrice de Bordeaux qu'il a fait venir, qu'il entretient, qui lui co?te les yeux de la tête! Il se ruine en diamants et en falbalas pour ces péronnelles, tout ce sérail! C'est au point que sa femme s'est séparée de lui...
--Ah! diable! Ah! diable! Mais... Oh! mais... vous faites bien de me dire ?a!
--Vous avez des fonds?...
--Chez lui? Oui, queuques p'tiotes choses! Et tous ces prudentissimes et architaffeurs villageois de courir bien vite à Saint-Servin et de retirer sur-le-champ les dép?ts qu'ils avaient pu effectuer, qu'ils effectuaient de temps immémorial à la banque Sédeillant, jadis Sédeillant et Peyreholade, puis Sédeillant et neveu, et enfin Sédeillant tout court.
Ce fut au tour du banquier de crier: ?Diable! Ah! diable!? et aussi: ?Gare! gare! Casse-cou!?
Et le voilà qui donne l'ordre d'atteler et file grand'erre chez son beau-père, au Mas-d'Artigues.
M. Ladevèze n'avait pas attendu l'arrivée de son gendre pour essayer de calmer l'irascible Palmyre et lui faire reprendre sa place auprès de son époux.
--Alors il te trompe, ce gredin d'Hector?
--Oui, papa! Je l'ai surpris.... Oh! il ne peut pas nier!
--Et tu ne l'as pas vitriolé, lui et sa complice? Tu n'es pas dans le train, mon enfant!
--Mais, papa....
--Bien entendu, il n'y avait rien de trop beau pour ta rivale. Il lui avait payé h?tel et domestiques, chevaux et voitures, bijoux, dentelles, tout le tralala! Il a mangé ta dot avec cette gourgandine, et....
--Mais non, papa, il ne lui donnait pas un sou. C'était ma lingère, une petite meurt-de-faim qui venait travailler à la maison....
--Et tu te plains?
--Mais, papa, tu ne comprends pas!
--Je comprends, ma chère Palmyre, que tu voudrais changer l'espèce humaine, faire que l'homme n'éprouve pas de désirs pour une autre femme que la sienne, et ne cherche pas fatalement à les contenter, ces désirs, et cela me peine de te voir ainsi perdre ton temps. Certes, tu es, j'en suis convaincu d'avance, mille fois mieux, mille fois plus avenante et appétissante que ta... lingère; mais tu as le tort irrémédiable d'être l'épouse, c'est-à-dire le devoir, la règle et l'habitude: ta lingère, si laide qu'elle soit, a l'inestimable avantage d'être, elle, la nouveauté, l'inconnu; le fruit défendu, pour comble! Voilà pourquoi ton coquin de mari se sent attiré vers elle. Hélas! oui, ma fille, c'est désolant, mais c'est comme ?a. Depuis que le monde est monde, changement d'herbage a réjoui les boeufs!
--Oh! papa.
--Oui, ma poulette! repartit l'éminent agronome. Sois donc raisonnable, et dépêche-toi vite de retourner auprès d'Hector, un excellent mari, au total, un époux modèle, crois-moi, puisque, tu l'avoues toi-même, il ne détourne pas un maravédis de la communauté et ne te fait pas tort d'un fifrelin.
--Il me faut des excuses! Je ne rentrerai que lorsqu'il m'aura demandé pardon de l'outrage qu'il a infligé à ma dignité et à mon honneur! s'écria péremptoirement Palmyre.
Pour toute réponse, M. Ladevèze se mit à siffler l'air de ?la Casquette du père Bugeaud?, sa ritournelle favorite.
* * * * *
Mais, quand M. Sédeillant arriva et qu'il eut raconté ce qui se passait aux guichets de ses bureaux, le philosophe et sceptique beau-père vit tout de suite qu'il n'était plus temps de badiner, et, joignant ses instances à celles du mari, ordonna à Palmyre de mettre séance tenante son chapeau et son manteau, prendre ses cliques et ses claques, et regagner Saint-Servin.
Palmyre elle-même, d'ailleurs, en sentait la nécessité, et si bien qu'elle ne parlait plus d'excuses, ne songeait plus à faire agenouiller devant elle, un cierge à la main, son criminel époux.
On décida que, pour combattre et réduire à néant les terribles propos qui circulaient, il fallait que le ménage se montrat partout, fit bien voir urbi et orbi combien il était uni, paisible et heureux.
En conséquence, M. et Mme Sédeillant ne cessèrent plus de se promener du matin au soir dans Saint-Servin et sa banlieue bras dessus bras dessous, gentiment pressés l'un contre l'autre, comme d'impatients amoureux, de nouveaux mariés en pleine lune de miel.
Ils imaginaient des achats pour pénétrer dans les magasins, des visites pour s'exhiber c?te à c?te dans tous les salons de l'aristocratie, de la haute, moyenne et petite bourgeoisie de l'endroit.
Rien n'y fit. Le mouvement était donné; le retrait des fonds se continuait.
Anxieux, bouleversé, perdant la tête, M. Sédeillant convoqua un matin tout le personnel de ses bureaux, dans l'unique intention de ?protester contre les odieuses calomnies dont il était l'objet?.
--Vous me connaissez, messieurs; vous savez combien régulière,
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