Histoire dun baiser

Albert Cim
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Histoire d'un baiser

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Title: Histoire d'un baiser
Author: Albert Cim
Release Date: January 29, 2006 [EBook #17631]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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HISTOIRE D'UN BAISER
PAR
ALBERT CIM
[Illustration]
Ancienne Maison F. ROY éDITEUR H. GEFFROY, Successeur 222, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 222 PARIS

[Illustration]

A Henri Demesse.
Ce fut un beau tapage, ce soir-là, dans tous les cercles, cafés et salons de Saint-Servin-sur-Garonne, quand on apprit ce qui s'était passé quelques heures auparavant chez M. Hector Sédeillant, le plus gros banquier de la contrée.
A l'issue d'un copieux déjeuner fait avec deux de ses correspondants et qui s'était prolongé jusqu'à trois heures de l'après-midi, M. Sédeillant, pris de je ne sais quelle lubie, était allé trouver, dans le recoin voisin de l'office, où elle travaillait d'ordinaire, la petite Jeandin, Mlle Colette, une ouvrière à la journée, que Mme Sédeillant faisait venir trois jours par semaine. Juste au moment où il saisissait par derrière la taille de Colette et lui appliquait un savoureux baiser dans les frisons de sa blanche nuque, Mme Palmyre Sédeillant, l'austère et vigoureuse épouse, était entrée, et... clic! clac! avait administré à monsieur une superbe paire de soufflets, puis empoigné mademoiselle par le bras et jeté à la rue cette effrontée.
--Ah! petite dr?lesse! c'est ainsi que vous vous comportez! Et chez moi encore! Chez moi! Allez, vilaine! Allez! Je me charge de vous recommander. Oui! Une belle réputation que vous êtes en train de vous faire, mademoiselle!
C'est en vain que la pauvre petite Colette protestait et sanglotait à coeur fendre:
--Madame! Mais je vous jure!... Mais, madame... Oh! comment pouvez-vous croire, madame!...
Madame, enfiévrée d'indignation, affolée de colère, ne voulait rien entendre et continuait à clabauder et vociférer dans la cour de l'h?tel, en pleine rue autant dire, et pendant que voisins et passants s'attroupaient.
Aussi la nouvelle de cette mésaventure conjugale s'était-elle promptement répandue à travers la ville et faisait-elle, le soir même, l'objet de tous les entretiens.
Bien entendu, on ne manquait pas d'amplifier les choses, d'enjoliver le récit, le festonner et le broder à profusion.
L'intrigue durait depuis longtemps déjà, affirmait-on; les mieux renseignés, ou du moins ceux qui se piquaient d'avoir surpris quelques particularités probantes et de posséder des détails inédits,--et tout le monde voulait en être de ceux-là,--racontaient que si la petite Jeandin portait d'aussi jolies boucles d'oreilles,--des perles fines, s. v. p.! vous n'avez qu'à regarder quand elle passe!--c'était grace à la généreuse gratitude de M. Sédeillant. Le bijoutier Lacassagne, du quai des Vergnes, les lui avait vendues, vendues à lui-même, et les avait reconnues ensuite aux oreilles de la donzelle. Il lui avait encore fait présent, cet amant aussi épris que prodigue, d'une bague achetée chez le même bijoutier, d'une bague magnifique: une turquoise entourée de brillants, ne vous déplaise!
Oui, plus que ?a de luxe, et pour une morveuse qui habitait dans un galetas du faubourg Roucayrolles et battait la dèche avec son vieil ivrogne de père, le rempailleur de chaises. Si ce n'est pas une honte!
Et comprend-on ?a? Quand on a une femme d'aussi gentil visage et d'aussi riche corsage que Mme Sédeillant, la belle Mme Sédeillant, imposante comme Junon, charmante, captivante, adorable comme Vénus! Tandis que cette petite mauviette de Colette... Je ne sais pas si vous êtes comme moi, je ne peux pas souffrir les femmes maigres. ?a ne me dit rien du tout. Ni à vous non plus, n'est-ce pas?
Par sa conduite, après l'avanie qu'elle avait infligée à Colette, et dès le soir même de ce déplorable esclandre, Mme Sédeillant semblait encore sanctionner ces perfides racontars, donner pleine raison à la malveillance et à la calomnie. Ne s'était-elle pas avisée, dans sa rageuse rancune, de quitter le domicile conjugal et d'aller demander asile et protection à son père, M. Cyprien Ladevèze, le président du cercle agricole de l'arrondissement, le chatelain et grand éleveur du Mas-d'Artigues, à deux lieues de Saint-Servin?
Et cette rupture, et tout ce bruit, tout ce vacarme pour rien! Rien que ce pauvre petit bécot dans le cou de la lingère! C'était tout ce que le banquier lui avait jamais donné. Jamais il ne lui avait pris autre chose,--ce jour-là, après cet émoustillant déjeuner, comme auparavant et de toute éternité,--autre chose qu'un brin de taille. Et si Mlle Colette Jeandin avait aux oreilles de chétifs pendants en chrysocale et imitation de perles, au doigt une misérable bague en toc, c'était
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